étude symbolique et ésotérique de the birthmark

étude symbolique et ésotérique de the birthmark ghemma quiroga-g.   étude symbolique et ésotérique de the birthmark(1)   au commencement, dieu créa les cieux et la terre.  la genèse, 1.1.     à josé jonathan et joachim   l’écriture de nathaniel hawthorne est sans aucun doute une écriture de l’image relevant du registre ésotérique. au moyen de celle-ci s’organise, dans chaque récit, une structure imageante des plus suggestives, où il inscrit une thèse des plus subversives et imbue d’une vision sacrée du monde. en effet, l’image poétique de hawthorne relève du langage des symboles et des mythes ésotériques, et tout particulièrement de celui de l’alchimie sans que pour autant l’on puisse affirmer que chaque récit soit une allégorie comportant une morale à proprement parler, car, s’il est vrai que chez lui l’allégorie n’est que partielle : tantôt apparaissant, puis disparaissant ensuite, sa morale, quant à elle, ne s’inscrit pas dans le courant de pensée et des principes de la morale dominante de son époque, mais bien plus dans des perspectives philosophiques proches du transcendantalisme, de l’antinomisme ou du gnosticisme. en sorte que l’on ne peut pas ranger l’œuvre de hawthorne parmi l’abondante production littéraire à vocation didactique ou moralisante si présente à son époque. elle ne peut qu’occuper une place à part. par ailleurs ce que, par contre, il persiste à élaborer du début à la fin d’un récit est cette même texture imageante qui apparaît comme le vase détenteur de sa pensée. ainsi poe fait remarquer que les contes de hawthorne renferment une dimension double qu’il nomme la « surface » et le « courant souterrain » respectivement : un fort courant souterrain de suggestion court sans cesse sous la surface où s’exprime paisiblement la thèse.(2) la thèse serait insérée d’une manière occulte dans la texture imageante du récit; véritable « courant souterrain » s’insinuant habilement à l’attention du lecteur averti; mais ce n’est qu’après avoir déchiffré la signification intime de chaque image et les relations que celles-ci entretiennent entre elles que l’on peut avoir un accès plus tangible au sens hermétique du texte.           la raison pour laquelle je pense que hawthorne aurait choisi de s’exprimer de la sorte se trouverait dans la crainte de l’opprobre social à l’égard de son œuvre; ce qui aurait pu indubitablement sinon censurer sa production du moins susciter un refus auprès des éditeurs et des journaux littéraires, et en particulier ceux qui étaient dirigés par les démocrates, parti qui l’appuyait. il est vrai, également, que, en ce qui concerne « le grand public », la mentalité puritaine de la société marchande de la nouvelle angleterre, en ce milieu du xixème siècle, n’était pas prête à accueillir d’autre discours que celui de l’idéologie dominante, et hawthorne, de par sa vision du monde, ne pouvait que heurter les convictions profondément enracinées d’une telle société. tels les alchimistes qui, soucieux d’éviter que le résultat de leurs recherches ne tombe dans les mains des néophytes, hawthorne dissimule sa pensée du regard des profanes, et ceci sous le langage des symboles; symboles qui d’ailleurs ne sont pas les mêmes chez tous les alchimistes, mais dont tous et chacun étaient sûrs que celui qui étant motivé par une quête authentiquement philosophique, à la lecture de leur travail, pourrait sans trop de difficulté comprendre l’essence même du message.           ainsi la thèse dans la marque de naissance interroge secrètement, au moyen de ces images ésotériques, la nature même de dieu et celle de sa création, laquelle dans la vision de hawthorne s’avère être imparfaite. qualifiant l’œuvre divine de la sorte, la sienne, qui naîtra par inspiration de la première, il ne pouvait la concevoir autrement que comme un ratage. dans ce récit, la structure imageante est conçue à partir de nombreuses références à des mythes et à des symboles alchimiques tout comme à des philosophes de la nature tels cornelius agrippa, albertus magnus, paracelse, ou à des sociétés secrètes comme les rose-croix, mais aussi des références à des rituels de magie et à des rites sacrés, tels le passage du « seuil », l’initiation du néophyte ou des allusions à des concepts comme ceux de l’hétérogénéité de l’espace en lieu sacré et profane, ou encore à tant d’autres références à l’ésotérisme en général. l’ensemble de ces éléments habilement exploités tissent la structure imageante du texte moins avec l’intention de mettre en place un décor mystérieux qu’afin de rendre abscons le contenu philosophique du conte. mais en dehors de ce brassage de connaissances, hawthorne exploite également le sens premier des mots, à savoir l’étymologie. ce genre d’emploi était fréquent au siècle dernier. l’intérêt de ce type d’analyse est qu’elle permet de faire des associations parmi une filière de mots entretenant entre eux une relation sémantique, ce qui en l’absence de ce type d’analyse ne serait pas évident. par ailleurs, un autre intérêt de ces chaînes sémantiques est qu’elles révèlent des idées disimulées à première lecture, et qui pourtant se trouvent réitérées dans le récit.           prenons l’exemple de l’ensemble d’éléments contenu dans « la marque de naissance », titre du conte mais qui désigne également la marque que, effectivement, georgiana porte au milieu de la joue gauche. elle est décrite comme ayant la forme d’une main miniature et qui pourrait être considérée, d’emblée, comme la marque fatale de la condition de déchéance inhérente à la femme. mais plus on avance dans l’analyse des structures imageantes du récit, c’est-à-dire dans les significations symboliques possibles pour « main », en examinant son champ sémantique ainsi que les relations qu’elle entretient avec les autres symboles ou relations parmi les correspondances « esprit/matière » s’y rapportant d’une manière ou d’une autre, plus l’on constate que la signification de « marque » (mark) et de « naissance » (birth) est plus complexe que celle annoncée dans le récit selon sa conception allégorique, à savoir le précepte. la « marque » de « naissance » qui a la forme d’une « main » « miniature » (minute hand) et qui est de couleur « rouge » se trouvant au « centre » de la « joue » « gauche » de « georgiana », joue qui par ailleurs est comparée à une « rose » tantôt « rouge », tantôt « blanche » selon les états d’âme de la jeune femme. l’alignement de cette chaîne de symboles et images (marque, naissance, esprit/matière, main, miniature, rouge, rose, blanche, centre, joue, gauche, georgiana) constitue une structure contenant l’énigme du rouage de la thèse du conte, mais que je ne révèlerai qu’à la fin.           en somme, l’étude que je présente de ce conte consiste en un travail de déchiffrement des images empruntées à un registre qui se définit par lui-même comme étant sibyllin. j’ai pris en compte, également, l’influence de certains ouvrages, et courants de pensée, qui n’ont pas manqué d’influencer des auteurs de la génération de nathaniel hawthorne et qui ont été écrits selon des démarches analogues à la sienne. je me réfère en particulier au texte de emmanuel swedenborg, le ciel, où d’emblée il explique la particularité du langage qu’il utilise. il précise dans la préface qu’il y a une différence entre le sens de la lettre et le sens interne, ou arcanes, qui est caché dans l’expression de la parole(3). dans l’écriture de nathaniel hawthorne il y a également le sens de la lettre ou sens immédiat du récit, et le sens imagé renfermant une dimension symbolique, mythique ou archétypale. si j’ai pris en compte le langage des symboles et les nombreuses références à l’alchimie ou à l’ésotérisme en général, c’est parce qu’il me semble que leur signification demeure, encore aujourd’hui, et pour longtemps, un véritable langage qui, à travers les sociétés et les civilisations, est resté imprégné et enraciné dans la culture, le folklore, autrement dit dans l’inconscient collectif. le contenu imagé de ce langage est en soi une réalité vivante et dynamique habitant au tréfonds de chacun de nous et agissant à quelque niveau d’existence que ce soit. contenus intérieurs qui s’expriment à travers la création, les songes ou encore la maladie, ainsi que carl-gustave jung le fait remarquer au sujet des archétypes(4).           nathaniel hawthorne mit six années à concevoir la marque de naissance, mais il ne l’écrivit qu’en quinze jours(5). ceci donne à penser que son élaboration ne fut pas uniquement l’affaire de la composition et de l’agencement de la trame narrative, mais ce fut peut-être aussi le temps nécessaire pour la juste articulation des images, mythes et symboles constituant la substance même du conte, à savoir sa structure imageante, vase détenteur de la philosophie de l’auteur.     i. le lieu de la création.           dans la vision sacrée que hawthorne possède du monde, la spatialité est hétérogène. il y aurait, d’une part, une spatialité organisée et habitable et, d’autre part, une région inorganisée et par conséquent inhabitable. la première par rapport à cette deuxième serait moins vaste, mais pour l’homme religieux qu’il était, ce n’est qu’à partir de ce seul endroit où se tient le centre du monde, à partir d’où seulement peut se faire la création et l’exploration intime auxquelles se livre le créateur. hawthorne déclarera, presqu’en justifiant la raison de son retour à sa ville natale, au moment où il prend la décision de devenir écrivain : « comme si salem était pour moi le centre inévitable du monde. » de même, dans la marque de naissance, la spatialité apparaît nettement divisée en deux : l’intérieur et l’extérieur du laboratoire de aylmer. chaque partie étant conçue dans des termes similaires.           l’action commence à l’intérieur de ces lieux, où aylmer habite avec son « assistant » : aminadab. cet endroit est d’emblée désigné par le terme laboratory, du latin laborare, c’est-à-dire travailler; l’endroit apparaît tel le lieu où aylmer travaille, et même là où il s’emploie à mener à terme un travail en cours procédant de la philosophie naturelle, domaine dans lequel il est présenté comme étant une éminence. en outre, le narrateur précisera qu’avant de sortir vers le monde extérieur, aylmer se nettoie le visage de la fumée du fourneau et lave les taches d’acide qu’il porte sur les doigts, ce qui suggère, d’une part, que le fourneau se trouve à l’intérieur de l’espace intime du personnage : d’autre part, ces « acides » font penser à l’acetum fontis, acide de la source, qui est une puissante eau corrosive ayant le pouvoir de dissoudre toutes choses créées tout en conduisant à la plus durable des créations : le mystérieux lapis, la pierre des philosophes. or, aylmer possède effectivement des acides corrosifs, tel celui qu’il jettera sur la plaque métallique afin d’effacer de celle-ci l’empreinte de la main minuscule que georgiana porte sur la joue gauche et qu’il vient de photographier, ou encore l’acide qu’il versera sur le géranium malade avec des taches jaunes sur les feuilles, le laissant de la couleur d’une verdure vivante, acide avec lequel il tentera d’enlever la marque de naissance. mais surtout, aylmer possède de redoutables connaissances lui permettant de préparer le « solvant universel ». or, sans le four, ou l’athanor, un philosophe de la nature ne peut mener à terme un travail d’alchimie.           aylmer serait donc un alchimiste qui, au cours de son travail, décide de sortir de sa retraite et d’aller vers le monde extérieur afin d’épouser georgiana. symboliquement l’on pourrait considérer ce mariage telle l’allégorie de l’une des phases de l’œuvre, à savoir l’union psychique des contraires. auparavant, aylmer assumait parfaitement l’image de l’alchimiste en tant qu’archétype du célibataire. selon la tradition, l’adepte passait de très longues années enfermé dans son laboratoire/oratoire, plongé dans des études et des prières. une fois à l’extérieur, l’espace est très peu décrit par le narrateur. n’inscrivant pas cette autre spatialité dans le récit, l’effet de réel produit demeure de la sorte amoindri. par les déplacements qu’effectue le personnage dans l’espace, on est conduit dans cette alternance du dehors et du dedans, mais ce n’est que dans cet espace intérieur et intime qu’est le laboratoire où aylmer semble trouver sa correspondance avec son mespaceental, voire spirituel. le passage d’un espace à l’autre apparaît bientôt comme le glissement allant du concept de l’espace physique au concept métaphysique.           aylmer apparaît tel le délégué de nathaniel hawthorne, son double sublimé, derrière l’image de qui le second se décrit en artiste, philosophe ou encore créateur. le premier traduit la vision sacrée du monde du second, par le fait même qu’il a une conception plus intense, plus significative du monde que l’homme non-créateur. cette perception s’oppose à l’univers profane qui n’assume ni le rôle ni la démarche ni la recherche du créateur. dans cette conception, l’espace est également sacré. le lien physique n’est pas homogène, car il y a rupture entre l’intérieur et l’extérieur. l’artiste s’est établi au centre du monde pour développer sa création à partir de cette base. ce centre du monde est matérialisé par le laboratoire et son fourneau, à partir desquels tout s’organise et se définit, même la narration.           tout comme nathaniel hawthorne, aylmer délaisse l’univers social et privilégie la retraite dans son lieu intérieur où peut s’accomplir pleinement sa vie spirituelle, et, par ce jeu d’investissement, il obtient le pouvoir de la création. pour nathaniel comme pour aylmer ce n’est qu’à l’intérieur de leur espace organisé que leur création est possible. ainsi, la recherche de son centre à soi apparaît comme une constante pour l’évolution spirituelle qui permet l’accomplissement et la réalisation de soi. la centralité du laboratoire, comme lieu physique et comme lieu mental, est la métaphore du corps et de l’esprit de aylmer dans cette même axialité.           par le glissement du lieu physique au corps physique, georgiana, introduite dans le laboratoire, sera en fait introduite dans le corps physique du créateur. la pièce où elle est amenée, nommée « boudoir » dans le texte, a été transformée en lieu clos, et représente, par ces aménagements, un univers intra-utérin. il est décrit comme étant un espace feutré, couvert de draperies, chaud, sans angles droits, excluant le soleil, avec pour unique éclairage des lampes à huiles parfumées, diffusant une lumière violette très ténue. dans cet univers, aylmer va tenter de transformer georgiana, matière imparfaite, en matière parfaite au moyen de ses connaissances philosophiques sur la matière elle-même.           en tant qu’alchimiste, aylmer possède le pouvoir de transformer les lieux physiques, comme plus tard il interviendra sur le corps physique de georgiana. l’architecte se rapproche ainsi de plus en plus du démiurge, car aylmer peut altérer la structure même des corps. le boudoir, où est installée georgiana, a été organisé et agencé de manière à provoquer chez elle un état second. ces lieux enchantés, c’est-à-dire qui comportent une dimension magique, provoquent un glissement de l’espace physique à l’espace métaphysique de georgiana. on se réfère souvent au théâtre dans des termes analogues. antonin artaud qui propose une réflexion approfondie sur le théâtre de tous temps et sa signification dit : « le théâtre qui [...] provoque dans l’esprit non seulement d’un individu, mais d’un peuple, les plus mystérieuses altérations. »(6)           mais pour pénétrer dans ces lieux de la création, le passage ne se fait pas sans quelques difficultés, car pour passer d’un plan à l’autre, il faut transcender la rupture d’un lieu physique comme d’un lieu mental. à la limite même de l’entre-deux, apparaît le seuil, threshold, là où georgiana perd et recouvre successivement la conscience. l’idée de dimension à part, ou de transgression de la réalité, est donnée progressivement au travers des mots comme : part, apartements, imparted où il y a une même particule de sens qui se répète et qui est part. cette division étant renforcée par la présence du mot threshold, le seuil.           la rupture de l’homogénéité de l’espace est marquée dans le récit par ce threshold, élément qui comporte par ailleurs toute une symbolique des plus riches, car la porte, ou seuil, est la limite même d’un plan s’ouvrant sur une autre dimension. en transcendant le seuil, l’on pénètre non seulement dans le laboratoire de l’alchimiste, mais également dans la dimension du lieu sacré. cette solution de continuité de l’espace a depuis la nuit des temps intéressé l’homme religieux, car le seuil et la porte apparaissent comme les symboles et les véhicules du passage.           le laboratoire de l’alchimiste, comme tout lieu enfermant des secrets, des mystères et des richesses, possède son gardien, qui est ici incarné par aminadab. en effet, il ne quitte jamais les lieux, car il tient le rôle de gardien du seuil à la manière du dragon dans la légende de la toison d’or ou du serpent dans celle du jardin des hespérides, parmi tant d’autres. créature-gardienne qui interdit l’accès aux intrus néophytes et protège le secret du philosophe, à savoir la pierre philosophale et l’élixir vitae. ainsi de retour au laboratoire avec georgiana, voyant le malaise de celle-ci au moment de pénétrer dans ces lieux internes, aylmer appelle à l’aide son « assistant » : « aminadab ! aminadab ! » shouted aylmer, [...] « throw open the door of the boudoir, aminadab », said aylmer, « and burn a pastil. »(*) (*) « aminadab ! aminadab ! » cria aylmer [...] « ouvre la porte du boudoir, aminadab », dit aylmer, « et brûle une pastille. » l’expression « throw open » exprime l’idée de faire qu’une ouverture se fasse soudainement et largement, l’idée de rendre le passage accessible. le terme « open » veut dire dans son sens immédiat « ouvrir », mais il peut également être pris dans son acception de « révéler », de commencer à dire. comme si en pénétrant dans l’espace intime du philosophe commencerait l’accès à la révélation du mystère. la parole initiatrice semblerait, en outre, venir non pas de la bouche d’un homme, en l’occurence de aylmer, mais de celle d’une femme, car en effet cette ouverture est dans la syntaxe de la phrase directement mise en relation avec la porte du boudoir, où deux symboles féminins se trouvent contenus. d’une part, la porte, et d’autre part, le boudoir qui est un « petit salon de dame où l’on peut se retirer pour bouder », et par conséquent l’on peut considérer sémantiquement que le boudoir est en rapport avec la femme. et si dans le terme « boudoir » il y a également le sens de faire la moue, c’est-à-dire de fermer les lèvres, la relation d’ouvrir, open, avec « boudoir » laisse supposer qu’il s’agirait symboliquement d’ouvrir une bouche féminine pour avoir accès à la révélation du mystère. selon de nombreuses traditions de magie, les secrets seraient féminins; l’ouverture de cette bouche de femme marque le commencement du dire, tout en rendant le passage accessible vers les secrets. de l’autre côté de cette porte, il se trouve un lieu fertilisant, comme le sens de la parole révélatrice est fertilisant à son tour. ainsi, parmi les images qui viennent ici tisser le sens occulte du passage, il apparaît celle d’une vulve brûlante, grande ouverte, comme celle d’une femme au moment du coït, image des plus érotiques exprimée au moyen des termes pastil et burn. le premier, dans son sens propre est un encens en forme de losange, ce qui par ailleurs est également un symbole féminin de par sa forme vulvaire où la dimension érotique se trouve d’autant plus renforcée par la proximité du deuxième terme : burn. l’érotisme ici véhiculé comporte cependant une valeur sacrée. les nombreux rituels érotico-sacrés païens au cours desquels il était usuel de brûler de l’encens se trouvent ici en écho. le parfum ayant fait partie, depuis des temps immémoriaux et au sein des civilations les plus anciennes, des cérémonies religieuses en rapport autant avec l’eros qu’avec thanatos. l’ensemble de ces mots : throw open, door, boudoir, burn et pastil(*) suggèrerait que la porte des mondes souterrains est désormais ouverte et que le passage initiatique pour georgiana, l’embryon, vers le ventre du monde peut maintenant s’effectuer. métaphoriquement, les échanges entre le ciel et la terre sont possibles à ce moment, c’est-à-dire entre l’esprit et la matière. ainsi l’on remarquera les nombreuses connotations présentes avec le mythe tellurique de la création. avec la pénétration de deux personnages dans le laboratoire, s’effectue la tentative d’entrer dans les mystères de la nature, ici appelée également la terre mère, et l’accès à la révélation. (*) ouvrir, porte, boudoir, brûler et pastille.           symboliquement, la bouche de la femme est confondue avec sa vulve, car dans un cas comme dans l’autre, ce sont deux ouvertures donnant accès aux mystères de la révélation et de la création. par la bouche ouverte s’exprimant la parole fertilisante dont il est question dans la bible(7). par la vulve s’effectue le passage aux entrailles de la terre, lieu intra-utérin et embryonnaire, lieu de gestation et de création, tel l’utérus de la femme-mère. par la bouche est libérée la parole fertilisante et créatrice de l’univers et des corps célestes, car elle est une parole de lumière agissant sur le plan cosmique; tandis que par la vulve, la création serait d’ordre purement organique, matérielle, terrestre, ainsi que le suggèrent les mythes qui racontent que la terre-mère fabrique dans ses entrailles toutes sortes d’embryons végétaux, animaux et minéraux(8). par conséquent la vulve serait à l’origine d’une biogonie. dans la marque de naissance, le corps pénétré symboliquement, n’est pas celui de georgiana, lequel se tiendrait à la place de l’embryon lui-même, mais celui de la terre-mère. georgiana se trouve pourtant assimilée à la terre-mère de par la racine grecque de son prénom : « géo- », du grec « terre », g h. mais l’explication de ceci a d’autres raisons que j’explique plus loin.           les images poétiques de hawthorne relèvent dans leur majorité d’une imagerie terrestre, souterraine, ainsi dans ce récit cela s’avère également. le laboratoire s’assimile à une grotte, ou à quelque endroit sous terre et est d’une configuration labyrinthique. ce rapprochement se justifie, d’une part, par l’abondante symbolique présente et qui va dans ce sens, et d’autre part, dans l’étymologie même du mot laboratoire, laboratory, qui outre le sens contenu de travailler : to labour, que j’ai déjà commenté, pris dans son acception archaïque ou poétique, labour renvoie au labourage de la terre. de plus, ce même terme connote, également, les organes féminins de procréation dans le sens où il est employé pour « le travail » lors du processus de l’accouchement. les lieux où séjournera georgiana sont décrits comme étant : a pavillion among the clouds(**). l’étymologie du mot cloud, nuage, est (pour l’anglais) « rocher » ou « rocaille » (mass of rock or earth), ce qui renvoie inexorablement, par le biais de l’imagerie symbolique, au mythe tellurique, à l’entrée de la caverne qui annonce des lieux plus intimes comme les entrailles, voire l’utérus de la terre-génitrix, et enfin à la terre comme image primordiale de la créatrice. selon le mythe tellurique d’hésiode, la terre enfanta le ciel : « terre (gaïa), elle, d’abord enfanta un être égal à elle-même, capable de la couvrir toute entière, ciel (ouranos) »(9). à partir de cette première hiérogamie, il y aura création. en d’autres termes, ce n’est qu’à partir de l’union des contraires que la vie peut éclater en cosmo- et biogonies. le boudoir où habite georgiana semble être un lieu où ces contraires se rejoignent dès l’instant où l’idée de volatil, d’éthéré, apparaît avec celle de matière, de rocher ou de rocaille. la première par le biais de l’étymologie du mot pavillion qui vient du latin papilio, à savoir le papillon (rappelons le fait que psychée se trouve présent dans le symbolisme du papillon) et la deuxième dans l’étymologie de cloud, qui contrairement à toute attente renvoie à la matière sous sa forme la plus lourde. dans cette opposition de l’élément volatil et de l’élément fixe on retrouvera la métaphore de l’esprit et de la matière, ou, dit autrement, l’union des contraires appelée par nicolas de cuse coincidencia oppositorum. ainsi dans la démarche de aylmer, l’on observera la difficulté que celui-ci aura toujours ressentie au cours de ses longues années de recherche en ce qui concerne la maîtrise et la connaissance nécessaires de la partie volatile, aérée, qu’est l’esprit, voire la sphère du spirituel ou de la vie céleste, afin de mener à bien son œuvre. la connaissance de la matière, quant à elle, semble acquise. en sorte que par ce glissement du lieu physique au lieu mental, ou archétypal, s’effectue la pénétration dans les non-lieux de l’homme intérieur, dans le mental de l’homme millénaire qui se manifeste chez l’artiste en particulier. (**) un pavillon au milieu des nuages.           aylmer en frappant du pied par terre fait surgir aminadab des profondeurs du laboratoire : [...] shouted aylmer, stamping violently on the floor. forthwith there issued from an inner apartment a man of low stature, [...](*) (*) [...] cria aylmer, tapant le sol violemment. immédiatement il sortit d’un appartement du fond un homme de petite taille, [...] dans cette scène, aminadab semble surgir moins des appartements internes que des profondeurs du sol, car la relation syntaxique immédiate de forthwith, et de floor, le sol, souligne l’idée de profondeur. ainsi le mot inner, avec le suffixe -er du superlatif donne l’impression que aminadab demeure sous terre, au plus loin de la surface.           le lieu du laboratoire est décrit comme un espace qui semble s’étendre largement à l’horizontale comme à la verticale, en long et en large. ce serait donc comme un lieu qui pénètrerait dans la terre et s’érigerait parmi les nuages. manière poétique de faire allusion au thème central du récit : le mariage du ciel et de la terre. l’idée d’un labyrinthe qui se dégage a posteriori dans they were to seclude themselves in the extensive apartments occupied by aylmer as a laboratory.(**) (**) ils devraient se retirer dans les vastes appartements occupés par aylmer en guise de laboratoire. et qui est en rapport avec le laboratoire, permet de concevoir ces lieux comme donnant accès aux entrailles de la terre, au corps d’une mère géante, car, en effet, l’idée de pluralité contenue dans le mot apartments au pluriel et qui, d’ailleurs, est d’autant plus accentuée dans le mot au singulier, désignant d’emblée une pluralité, a set of rooms, renforcée par l’adjectif extensive, grands, suggérant l’existence de plusieurs groupes de chambres, décrit un lieu labyrinthique constitué par des groupes de chambres. le mot extensive (d’un espace très grand en extension, qui a rapport à son étendue) ajoute une idée d’expansion au niveau physique comme au niveau abstrait, ce qui renforce le glissement entre l’espace physique et le mental. cette idée de labyrinthe revient quelques paragraphes plus loin : aylmer had converted those smoky, dingy, sombre rooms [...] into a series of beautiful apartments(***) (***) aylmer avait converti les chambres noir-suie, ternes et sombres [...] en une série de beaux appartements le mot series, des séries, ainsi que le pluriel de rooms, chambres, donne une fois de plus l’idée de pluralité. l’image serait celle des grappes de chambres reliées entre elles, se rattachant les unes aux autres à l’infini.           par ailleurs, dans les représentations que les mythes offrent des grottes et des cavernes, celles-ci ont l’aspect d’un labyrinthe à partir du moment où les profondeurs de la terre sont assimilées aux entrailles de la terre-mère. mircea eliade écrit à ce sujet : « ce lieu transformé rituellement en labyrinthe était à la fois le théâtre des initiations et le lieu où l’on enterrait les morts. »(10) dans la marque de naissance, le laboratoire est le lieu où aylmer initiera georgiana à ses secrets, au cours de son intervention sur la marque fatale, et où elle mourra, suite à cette même intervention. de la symbolique du labyrinthe en ressortent deux caractéristiques en rapport avec l’investissement spatial : premièrement, comme lieu d’initiation, et deuxièmement, comme lieu de funérailles. ces deux aspects sont présents dans ce récit en rapport avec le laboratoire.           pour georgiana cette descente implique la réalisation d’un voyage la menant d’un niveau à l’autre, c’est-à-dire du lieu profane au lieu sacré, comme de l’état de néophyte à celui d’initié, des ténèbres à la lumière de la connaissance, et la difficulté éprouvée par celle-ci, pourrait être interprétée comme la petite mort initiatrice par laquelle passe le néophyte lorsqu’il est initié aux mystères. l’idée de mort est présente dans le texte au moment où georgiana perd connaissance : fainted, s’évanouit, lifeless form, une forme sans vie, deathlike faintness, évanouissement ressemblant à la mort. aylmer, par contre, n’éprouve aucune difficulté dès l’instant où il ne fait que retrouver sa propre spatialité.   ii. l’alchimiste et son œuvre abortive : aminadab. a) aylmer l’alchimiste créateur.           les noms des personnages dans l’œuvre de hawthorne pourraient être considérés dans l’ensemble tels des emblèmes contenant la problématique que chacun présente. ainsi le nom aylmer contient un sens de noblesse associé surtout à l’idée de noblesse d’esprit(11). en effet, ce personnage est maintes fois décrit par ce même trait et il est associé à la sphère de la vie spirituelle surtout lorsqu’il est question de sa création. la thèse défendue pose la création comme irréalisable par l’homme-créateur si celui-ci ne possède pas une complémentarité de connaissances du monde matériel et du monde spirituel, ainsi que la maîtrise nécessaire sur chacun d’eux. aylmer est arrivé à un état d’érudition presque totale en ce qui concerne la matière, cependant la connaissance et la maîtrise du monde spirituel échappe encore à son entendement, au moment où se déroule l’action. sa démarche et ses longues années de pratique se voient condamnées par un échec irréversible à cause de cette difficulté à accéder à la complète connaissance et maîtrise de la sphère de la vie spirituelle.           étymologiquement le concept de noblesse se trouve lié à la connaissance. de même aylmer est décrit comme ayant de grandes qualités spirituelles, c’est-à-dire de pensée, d’intellectualisation et d’organisation. il est doté d’un esprit scientifique, rationnel, calculateur, cependant ces qualités constituent précisément le barrage qui l’empêche de pénétrer dans la sphère du monde spirituel et de sa connaissance. le premier mot qui qualifie aylmer dans le récit est proficient, ce qui signifie être un expert ou un adepte dans un art donné. ce mot connoterait la qualité d’alchimiste du personnage, tandis qu’à aucun moment, au cours de la narration, il n’est qualifié ouvertement ni d’alchimiste ni d’adepte. par ailleurs, de nombreuses indications implicites y feront constamment allusion. l’art pratiqué par aylmer pourrait se définir comme étant l’art royal ou le grand Œuvre. dans le voisinage immédiat de ce premier terme décrivant et présentant aylmer tout au début du récit, se trouve en outre, man of science, homme de science, le précédant, et natural philosophy, la philosophie naturelle, le suivant. deux qualités qui pourraient se résumer comme étant, l’une, en rapport avec la connaissance de la matière, et l’autre, en rapport avec le savoir et l’esprit. elles constituent de la sorte les deux données de départ de la problématique du personnage. julius evola dit à ce sujet : « la dénomination médiévale de ‹philosophie naturelle› exprimait encore la synthèse de deux éléments qui n’existent aujourd’hui que sur deux plans séparés, l’un d’intellectualité irréelle (la philosophie), l’autre de connaissance matérielle (la science) mais, poursuit-il plus loin, « étant donné le caractère d’unité, de cosmos, que l’univers présentait pour l’homme traditionnel, cette connaissance ‹naturelle› contenait une vertu anagogique, c’est-à-dire le pouvoir d’élever l’esprit à un plan transcendant, métaphysique. »(12) à travers la pratique de l’alchimie deux objectifs sont visés : obtenir la transformation en or de la matière (plan physique) et la réalisation de soi (plan spirituel). dans un cas comme dans l’autre, le but est d’atteindre l’état de perfection dans cette correspondance matière-esprit.           aylmer serait donc un alchimiste qui ne correspond pourtant pas au modèle traditionnel de l’adepte, lequel attendait l’accomplissement de l’Œuvre au milieu de chants et de prières adressés à dieu pour qu’il lui vienne en aide et intervienne favorablement. aylmer a vécu au milieu du xviiième siècle, précise le narrateur, quoiqu’il se situe dans la lignée des alchimistes du moyen-âge comme albert le grand, ou ceux de la renaissance tels que cornelius agrippa et paracelse. aylmer, en tant qu’alchimiste, apparaît de la sorte loin du modèle décrit par evola, car il est un homme appartenant au siècle des lumières et à ce titre il est passionné des découvertes scientifiques, émerveillé par le savoir objectif et les accomplissements prodigieux d’une technologie qui commence à pointer à l’horizon (électricité, photographie, etc.). ainsi sa perception du monde se trouve éclatée malgré son aspiration vers la philosophie naturelle. pour lui, il y a, d’une part, le savoir du monde physique qui constitue le domaine de la science, et d’autre part, il y a le monde spirituel, mais qui se présente à lui comme étant inaccessible avec le type de savoir qu’il applique, de sorte qu’un problème se pose à lui à la fois d’ordre philosophique et d’ordre théologique.           dans une telle vision de l’univers où la posture est intellectuelle, se trouve absente cette unique porte qui aboutit à la réalité, à savoir l’intuition. pour aylmer, l’univers n’est plus comme il apparaissait aux alchimistes : une unité (univers), mais il est fragmenté en deux plans, la matière ou monde matériel régi par des lois ayant des causes et des effets, et qui ne peut être perçu comme une totalité parce qu’il est trop apparent; d’autre part le monde spirituel qui pourtant lui échappe. cependant, aylmer apparaît comme un être conscient depuis toujours de l’existence de cet autre plan invisible, où les choses semblent prendre racine, naître en quelque sorte de cet ailleurs, mais pour lui, la sphère du monde spirituel constitue un lieu difficile sinon impossible à pénétrer. pourtant celle des deux sphères qui donne le rythme de respiration à la matière et qui la fait palpiter et se mouvoir dans l’imperceptible de nos sens tout en se tenant au cœur-centre du magma planétaire, c’est le monde spirituel. lieu qui est le seuil et qui est l’entre-deux mondes. the book, in truth, was both the history and emblem of his ardent, ambitious, imaginative yet practical and laborious life. he handled physical details as if there were nothing beyond them; yet spiritualized them all, and redeemed himself by his strong and eager aspiration towards the infinite. in his grasp the veriest clod of earth assumed a soul.(*) (*) le livre, en vérité, était en même temps l’histoire et l’emblème de sa vie passionnée, ambitieuse, imaginative, bien que pratique et laborieuse. il avait manipulé des détails physiques comme s’il n’y avait rien au-dessus d’eux; cependant il les avait spiritualisés et s’était racheté lui-même du matérialisme par sa forte et ardente aspiration vers l’infini. dans son poing la moindre parcelle de terre avait assumé une âme. aylmer ne fait pas preuve de religiosité tels les alchimistes traditionnels. il est de ces hommes qui possèdent un degré de lucidité qui rend la vie si difficile à accepter telle qu’elle se présente. un homme en quête de perfection, révolté contre les lois naturelles qui régissent l’homme et sa matière. dans sa démarche, il y a une remise en cause radicale de cette création et de son créateur; et dans sa tentative de faire de l’homme un être parfait, aylmer ne dispose que de son unique savoir : sa science.           dans une pensée théiste, l’homme croyant ne peut pas contester la création et dire qu’elle est imparfaite. la question ne se pose même pas, car si par définition la création est l’Œuvre de dieu, l’être parfait, elle est par conséquent parfaite. pour l’homme traditionnel la création est la manifestation de la sacralité : une hiérophanie. le création à tous les niveaux cosmiques présupposerait l’intervention d’une puissance sacrée. dans la pensée contestataire de aylmer, qui d’ailleurs apparaît comme le reflet de celle des romantiques, la création est l’affaire de la nature déifiée, mais elle demeure, toutefois, imparfaite. de cette création, l’homme fait partie également, mais avec la différence qu’il possède, contrairement aux autres espèces, cette partie immatérielle qui est l’esprit. il peut grâce à elle intervenir avec l’aide de la connaissance dans l’évolution de la nature. ce qui revient à dire que le philosophe de la nature peut accélérer le développement embryonnaire des différentes formes de vie vers son point culminant, à savoir l’état de perfection, ou en langage alchimiste : l’or. l’alchimiste agirait en tant que rédempteur de la nature, et aylmer concevrait son travail dans ces termes.           ce personnage place le lecteur devant l’énigme du monde spirituel, du créateur et de sa création, de l’organisation de celle-ci ainsi que de sa cosmogonie. y aurait-il une entité toute puissante qui agirait en tant que créateur et préservateur de son Œuvre ? ou, est-ce que la matière ne s’organiserait-elle pas d’elle-même ? f.w. schelling, qui est qualifié par jean-christophe bailly de « philosophe romantique par excellence »(13), écrit à ce sujet : « l’esprit, on en était venu à admettre que l’esprit et la matière étaient, depuis toujours, indissolublement unis dans ces choses. »(14) hawthorne s’interroge sur le phénomène de la création. la nature est présentée comme une intelligence supérieure à toute autre, car il dit qu’elle posède les deux formes de la connaissance : celle du monde matériel et celle de la sphère du spirituel, et que ce n’est que par cette complémentarité de savoirs qu’elle crée et qu’elle est la création. f.w. schelling écrit : « la nature n’est pas seulement le produit d’une création incompréhensible : elle est la création elle-même; elle n’est pas seulement la manifestation ou la révélation de l’éternel; elle est l’éternel même. »(15)           dans ce récit, la nature est personnifiée et hawthorne lui attribue, par l’intermédiaire du narrateur, le sexe féminin et la qualité d’être mère. forme mythique, païenne et archétypale donnée à la nature par les civilisations archaïques à caractère matriarcal : [aylmer] attempted to fathom the very process by which nature assimilates all her precious influences from earth and air, and from the spiritual world, to create and foster man, her masterpiece. [...] our great creative mother, while she amuses us with apparently working in the broadest sunshine, is yet severely careful to keep her own secrets, and, in spite of her pretended openness, shows us nothing but results. she permits us, indeed, to mar, but seldom to mend, and, like a jealous patentee, on no account to make.(*) (*) [aylmer] avait tenté d’appréhender les procédés eux-mêmes par lesquels la nature assimile de la terre et de l’air, et du monde spirituel toutes ses influences précieuses, pour créer et nourrir l’homme, son chef-d’œuvre. [...] notre souveraine mère créatrice, tandis qu’elle nous amuse avec du travail fait apparemment en plein jour, ne fait cependant pas moins attention pour préserver rigoureusement ses propres secrets, et, en dépit de sa prétendue ouverture, ne nous montre rien que des résultats. elle nous permet, en vérité, de détruire, mais rarement de réparer, et, telle une patentée jalouse, ne nous permet sous aucune circonstance de faire. great creative mother est un concept païen où nature et déité se confondent, et il apparaît comme une tentative de retour, de la part de hawthorne, vers des concepts archaïques des divinités issues de religions de l’antiquité. est-ce pour ne pas s’attaquer directement à dieu devant le regard du lecteur protestant ? ou, est-ce parce que, dans sa démarche, il avait effectivement fait retour vers ces formes païennes, les réactualisant comme le firent les romantiques d’une manière générale ? en tout cas, le personnage, aylmer, critique cete intelligence créatrice du fait qu’il considère que toute sa création ne serait qu’une œuvre imparfaite. divinité qui serait incapable de réaliser homme ou femme qui ne soit pas tenu à sa loi cyclique définie par le péché, la décadence, la souffrance et la mort : the crimson hand expressed the ineluctable grip in which mortality clutches the highest and purest of earthily mould, degrading them into kindred with the lowest, and even with the very brutes, like whom their visible frames return to dust. in this manner, selecting it as the symbol of his wife’s liability to sin, sorrow, decay, and death.(**) (**) la main rouge exprimait la prise inévitable dans laquelle la mortalité saisit les plus hauts et les plus purs des moules terrestres, les dégradant vers le plus bas de l’espèce et même celui des brutes, dont les carcasses visibles de ces dernières retournent à la poussière. de cette manière, il la choisit comme le symbole de l’assujettissement de sa femme au péché, à la souffrance, au déclin, et à la mort. ces quatre termes semblent faire référence aux quatre âges de l’homme : sin, le péché, correspondrait de la sorte à la naissance, et à l’enfance, marquée par le péché originel; sorrow, la souffrance, serait en rapport avec l’apogée ou la jeunesse; decay, le déclin, avec l’âge mûr et au déclin de la vie, cycle qui s’achèverait avec la vieillesse et avec le troisième terme : death, la mort. l’homme qui est constitué, en partie, de matière, est tenu par son corps au cycle des âges, qui est la loi irréversible de la nature. l’homme est par conséquent voué à vieillir, à souffrir et à mourir. corriger cette création ou changer la loi qui la régit, reviendrait à créer un être parfait, né sans tache, sans péché, en somme, sans cette marque de naissance qui est le signe qui rend manifeste que l’homme fait partie de la création de la nature, et qu’il répond à sa loi fatale du cycle infernal, ou karmique penseront certains, du péché, de la souffrance, du déclin et de la mort. l’être nouveau rêvé par l’alchimiste serait un être qui ne connaîtrait ni la souffrance du corps ni celle de l’esprit, quelqu’un qui possèderait un corps éternel et inaltérable par l’effet de la maladie ou du vieillissement. ce serait un être céleste, un être, en somme, dépourvu de matière. le rêve de l’alchimiste serait de faire de l’homme un ange ou un dieu.           aylmer poursuit avant tout un but : posséder la clef de la connaissance absolue, laquelle lui permettrait l’accès aux mystères de la nature et, par ce biais, à la création afin de dépasser, voire de dominer, cette intelligence toute puissante qui est la nature. il serait lui-même démiurge. selon evola l’Œuvre peut mener l’alchimiste jusqu’à réaliser ce but : « par les différentes phases de la réalisation hermétique on connaîtrait donc les phases de la création : l’expérience ésotérique donnerait la clef de la cosmogonie et vice-versa. »(16) une fois obtenu ce savoir, l’alchimiste corrigerait ce que la nature réalise imparfaitement, de sorte qu’il pourrait, enfin, créer des mondes nouveaux pour lui-même : unitl the philosopher should lay his hand on the secret of creative force and perhaps make new worlds for himself.(***) (***) jusqu’à ce que le philosophe puisse mettre la main sur le secret de la force créatrice et fasse peut-être des mondes nouveaux pour lui-même.           vision romantique que de vouloir rendre l’homme heureux en lui rendant sa dignité d’être; lui la créature faite à l’image de son créateur, et ceci en le transplantant dans son espace et sa condition édénique des origines. mais, vision également biblique, car le bonheur parfait d’avant la chute est situé, selon la bible, aux sources originelles elles-mêmes. aylmer semble s’être laisser tenter par cet acte divin de la création d’un être, et ceci à une période reculée de son existence, pendant sa jeunesse, époque où, tel les alchimistes de la plus haute tradition, il vivait enfermé dans son laboratoire. il aurait tenté alors sa première expérience pour remodeler l’homme.   b) aminadab la créature.           aminadab apparaît tel un nom rébus à lire à l’envers. en le décodant, il permet de comprendre la problématique que pose ce personnage. il y aurait deux significations possibles pour ce nom(17) : en premier lieu, aminadab, lu à l’envers, donne badanima, nom composé de deux mots : bad et anima. en prenant le mot anglais bad dans sa traduction latine, l’on trouve trois possibilités : malus. male. malum. le premier, malus, signifie « mauvais » dans le sens funeste, mortel. le deuxième, male, se réfère à une manière contraire à l’intérêt ou aux vœux de quelqu’un; en termes ou d’une façon défavorable; autrement qu’il ne convient; de façon contraire à un modèle idéal, dans le sens d’un travail mal fait; d’une façon anormale; d’une manière défectueuse, imparfaite, et contrairement à une loi supérieure. le troisième, enfin, malum, désigne ce qui cause de la douleur, de la peine, du malheur(18). la traduction la plus significative pour bad, parmi ces trois possibilités, est male, dès l’instant où les définitions de sens données correspondent aux éléments de la problématique posée par ce personnage. mais avant de développer ce point, voici la deuxième signification possible pour ce nom.           ainsi, en deuxième lieu, si l’on remplace ces deux mots qui constituent le nom d’aminadab, à savoir bad et anima par les deux mots en latin tout en préservant l’ordre donné par hawthorne, l’on obtient : anima male. de ces deux mots, le premier veut dire en latin « souffle de vie », mais d’après le qualificatif male, qui comme on vient de le voir signifie que ce souffle est autrement qu’il ne convient, fait d’une façon défavorable(19), on peut déduire que aminadab n’a pas été engendré selon le processus naturel, à savoir par la gestation dans le ventre d’une femme, mais qu’il est un être de laboratoire, créé par aylmer : in the extensive apartments occupied by aylmer as a laboratory, and where, during his toilsome youth, he had made discoveries in the elemental powers of nature, [...] here, too, at an earlier period, he had studied the wonders of the human frame and attempted to fathom the very process by which nature assimilates all her precious influences from earth and air, and from the spiritual world, to create and foster man, her master piece.(*) (*) dans les vastes appartements occupés par aylmer en guise de laboratoire, et où, durant les années d’une jeunesse laborieuse, il avait fait des découvertes sur les pouvoirs élémentaires de la nature [...] ici, aussi, à une époque antérieure, il avait étudié les merveilles de la charpente humaine, et avait tenté d’appréhender les procédés par lesquels la nature assimile de la terre et de l’air, et du monde spirituel toutes ses influences précieuses, pour créer et nourrir l’homme, son chef-d’œuvre.           dans cette citation apparaissent les indications spatio-temporelles permettant de situer cette création : at an earlier period, à une époque antérieure, et here, ici, ayant comme référant, plus haut dans le même paragraphe, in aylmer’s laboratory, dans le laboratoire de aylmer. le philosophe de la nature qu’est aylmer avait alors essayé d’imiter le processus par lequel la nature crée l’homme. sa tentative pour fathom the very process [...] to create and foster man, appréhender les procédés eux-mêmes [...] pour créer et nourrir l’homme, aboutit sur la création d’aminadab.           cependant aylmer ne considère pas aminadab comme une œuvre réussie, car elle est défectueuse et imparfaite. en d’autres termes, cette créature serait du travail mal fait, de façon contraire au modèle idéal. on peut se demander si ce n’est pas aylmer son créateur, car des composantes identiques se retrouvent chez les deux personnages, comme si le créateur aylmer, en créant aminadab, sa créature, s’était impliqué plus qu’intellectuellement, en sorte qu’il est possible de voir dans la répétition de la lettre initiale « a », par laquelle commencent leurs deux prénoms, une allusion à ceci. l’un figurant l’anima noble et l’autre l’anima mauvaise respectivement; l’un dans sa composante positive et l’autre négative : with his vast strength, his shaggy hair, his smoky aspect, and the indescribable earthiness that incrusted him, he seemed to represent man’s physical nature; while aylmer’s slender figure, and pale intelectual face, were no less apt a type of the spiritual element.(*) (*) avec sa vaste force, ses cheveux hirsutes, son aspect noir-suie, et sa contexture de terre indescriptible qui l’encroûtait, il semblait représenter la nature physique de l’homme; tandis que la silhouette fine de aylmer, et le visage intellectuel, n’étaient pas moins propres du type de l’élément spirituel.           de cette façon, l’opposition apparaît dans ce passage entre aminadab représentant la nature physique de l’homme, c’est-à-dire l’aspect terrestre dans le sens matériel du corps, et aylmer représentant l’élément spirituel de l’homme. mis à part le fait d’être deux personnages de l’histoire, l’un et l’autre apparaissent comme des représentations symboliques de deux idées abstraites faisant partie intégrante de l’allégorie contenue dans ce récit.           en outre, les descriptions concernant aminadab développent cette caractéristique terrestre et confirment l’interprétation de son nom, à savoir celle qui verrait en lui le résultat d’une œuvre imparfaite, servant d’aide ou, comme il est qualifié par le narrateur, d’« assistant ». ce qui, par ailleurs, rappelle la présence usuelle, autant dans l’iconographie que dans les textes des alchimistes, de l’assistant de l’artiste assumant dans le laboratoire le travail pénible et musculaire. ainsi, aminadab vit dans la nuit, à l’écart de la lumière du jour, dans les profondeurs labyrinthiques du laboratoire. ce qui rappelle, d’une certaine manière, le mythe du dieu forgeron héphaïstos, chez les grecs, ou de vulcain chez les romains : maîtres des arts et du feu, régnant sur les volcans qui sont ses ateliers. héphaïstos, tout comme aminadab, est très laid physiquement, infirme et boiteux, et révélant une faiblesse spirituelle. de l’imagerie archétypale alchimique, le forgeron a servi de modèle pour aminadab, alors que l’alchimiste a servi pour aylmer.           dans le personnage d’aminadab, il y a quelque chose appartenant à l’espèce animale qui le caractérise, ce qui est également présent dans les deux parties qui composent le nom d’aminadab : anima et male, lesquelles en les rattachant, et en enlevant la syllabe répétitive ma du milieu, révèlent cette même caractéristique du personnage, et qui est celle d’être un animal. ainsi le narrateur décrit la voix du personnage en question comme celle d’une brute et non pas celle d’un être humain. or, il n’y a rien de plus humain que la voix. aminadab, whose harsh, uncouth, misshapen tones were audible in response more like the grunt or growl of a brute than human speech [...].(**) (**) aminadab, dont les tons durs,rudes et distordus, plus semblables au grognement ou au grommellement d’une brute qu’à du langage humain[...]. grunt, le grognement, qualifie les sons produits par les porcs; figurativement il exprime le mé-contentement, la fatigue. growl, le grondement, est un son guttural qui évoque l’ours; figurativement il traduit la colère, la plainte.           or, si l’on se pose la question pourquoi aminadab serait un être imparfait, l’on verra que selon la thèse impliquée dans le récit, la réponse est parce que l’élément divin, spirituel, est absent. le journal de aylmer révèle que pendant que l’expérience de création de aminadab eut lieu, aylmer ne parvint pas à joindre à la matière qu’il façonnait le côté spirituel : the volume, rich with achivements that had won renown for its author, was yet as melancholy a record as ever mortal hand had penned. it was the sad confession and continual exemplification of the short comings of the composite man, the spirit burdened with clay and working in matter, and of the despair that assails the higher nature at finding itself so miserably thwarted by the earthly part.(***) (***) le volume, riche en parachèvements ayant valu de la reconnaissance à son auteur, était toutefois un recueil aussi mélancolique que jamais main mortelle n’avait écrit. c’était la triste confession, avec le continuel apport d’exemples des déficiences de l’homme composite : l’esprit chargé de boue, et travaillant dans la matière; du désespoir qui assaille la plus haute nature en se trouvant si misérablement frustré par la partie terrestre. cette problématique de créer un homme à partir du savoir scientifique, sans l’intervention divine, est un problème appartenant à la pensée romantique. dans la littérature anglaise, le roman de mary shelley, frankenstein, publié en 1818, constitue l’un des exemples les plus marquants.     iii. georgiana, l’œuvre royale ou la re-création du monde.           le prénom georgiana dérive du prénom masculin georges, lequel signifie « fermier »(20). en constatant que l’étymologie de farmer, le fermier, est firm, la signature, on comprend pourquoi georgiana apparaît comme « signée » sur la joue gauche par la marque de naissance qu’elle porte, telle une œuvre d’art signée par l’artiste. on interprète aussi ce prénom par « le laboureur de la terre ». autant dans l’une comme dans l’autre définition, se répète l’idée de labourer, de cultiver et de préparer la terre pour faire une culture. l’étroite relation qui progressivement va s’établir, à mesure que la narration avance, entre georgiana et la terre, est d’emblée présente dans la racine grecque de son prénom « géo- », du grec « terre », g h. tout comme aminadab, mais pour des raisons différentes, georgiana fonctionne par opposition à son contraire et partenaire : aylmer. dans l’idée de « laboureur de la terre » se trouve impliquée la personne même du laboureur et qui dans le texte serait aylmer, alors que la « terre » serait georgiana. en tant que symboles, ces deux personnages vont s’étendre, par jeu d’opposition, jusqu’à devenir la représentation des mythes les plus anciens et les plus universels. ainsi par rapport à la terre-georgiana aylmer serait le ciel, et leur mariage serait celui du ciel et de la terre, ou l’union des contraires.           si hawthorne a choisi de faire appel aux mythes primordiaux, cela peut s’expliquer par le fait que le mythe a été depuis les civilisations les plus anciennes, une tentative pour expliquer ce qui s’est passé in illo tempore, c’est-à-dire la reconstitution de l’histoire primordiale de l’homme, et celle de la création. dans ce récit il est justement question du mystère des origines.   a) le mythe tellurique de la création.           la terre considérée comme un symbole apparaît tantôt en opposition tantôt en relation de complémentarité par rapport au ciel. dans cette constatation se trouve contenue la problématique de ce récit. en d’autres termes il s’agit de l’opposition, ou de la relation de complémentarité entre le monde ou l’élément matériel et le monde ou l’élément spirituel. hawthorne emploie le symbole terre pour représenter ce qui est matériel et le symbole ciel pour représenter le principe spirituel : matter and spirit — earth and heaven — have both done their part in this !(*) (*) matière et esprit — terre et ciel — ont tous les deux joué leur part en ceci ! de même que earth, terre, earthiness, qui a un aspect de terre, physical, physique (adj.), physics, la physique (nom), materialism, le matérialisme, clay, l’argile, earthly, terrien (adv.), mortal, mortel, constituent une chaîne sémantique se référant, dans ce récit, à l’élément matériel. les uns et les autres sont employés comme des synonymes. pour l’élément spirituel seront employés les mots : heaven, le ciel, spiritual, spirituel, spiritualized, spiritualisé, soul, l’âme, spirit, l’esprit, immortal, immortel, celestial, céleste (adj.). lorsqu’il s’agit de création, l’union des contraires est indispensable : nature assimilates all her precious influences from earth and air, and from the spiritual world, to create and foster man, her masterpiece.(**) (**) la nature assimile de la terre et de l’air, et du monde spirituel toutes ses influences précieuses, pour créer et nourrir l’homme, son chef-d’œuvre. julius evola écrit à ce sujet : « l’idée base est que la création ou manifestation se réalise au moyen d’une duplicité comprise dans l’unité suprême, de même que la génération animale se produit par l’union du mâle et de la femelle. »(21) par ailleurs, dans le système philosophique de aylmer, l’un de ces éléments trouve son double dans l’autre : aylmer en tant que symbole de l’élément spirituel serait le double de amibadab, symbole terrestre. quant à georgiana, elle serait le symbole du commun des mortels, ayant un corps imparfait et une âme : my earthly senses are closing over my spirit [...].(*) (*) mes sens terrestres se referment sur mon esprit[...].            cette première opposition terre/ciel devient par extension l’opposition du principe passif et du principe actif, soit de la terre et du ciel. le premier élément étant identifié au principe féminin et le second au principe masculin. dans ce récit, georgiana représente le principe passif parce qu’elle est une femme; de même que aylmer représente le principe actif parce qu’il est un homme. d’après aristote, « le mâle représente la forme spécifique, la femme la matière. en tant que femme, elle est passive, tandis que le mâle est actif. »(22) en d’autres termes on peut désigner cette opposition, ou plutôt cette dualité, la diade ciel/terre, comme étant la polarité du principe ouranien et du principe tellurique, images cosmico-symboliques de l’éternel masculin et de l’éternel féminin.           si l’on choisit de les symboliser, on représentera le principe féminin par une posture horizontale du corps : position couchée par exemple, et le principe masculin par une posture verticale, tel le phallus en érection. georgiana se trouve par trois fois en position couchée. premièrement quand elle s’évanouit sur le seuil du laboratoire en entrant. cet évanouissement qui par ailleurs caractérise également sa passivité, commence à ce même instant et ne changera pas jusqu’à la fin du récit. aylmer, quant à lui, se trouve debout. deuxièmement, quand elle reprend connaissance, après s’être évanouie dans le boudoir; aylmer est alors à genoux à ses côtés. troisièmement, à la fin du récit, après avoir avalé la potion que son mari lui a donnée, elle s’endort. on peut supposer qu’à nouveau elle est en position couchée, tandis que aylmer est assis auprès d’elle.           la passivité de georgiana est dénotée également par l’acception de toutes les épreuves et expériences que aylmer lui fait subir. elle se trouve en position d’objet, du point de vue relationnel : telle la terre labourée par le sujet mâle et agissant qu’est le laboureur, à savoir aylmer. l’activité de aylmer se caractérise par le déplacement aller-retour qu’il effectue entre le laboratoire et le monde extérieur ou son va-et-vient dans les diverses pièces du laboratoire. il est le seul personnage à se déplacer dans l’espace constamment, et le seul personnage actif intellectuellement. aminadab répond aux ordres du maître, georgiana subit les expériences du philosophe.           en résumant les éléments qui sont en rapport avec l’opposition terre/ciel l’on obtient, pour georgiana, la terre, la chaîne sémantique suivante : terre, matière, mortalité, corps physique, principe passif et aspect féminin. tandis que pour aylmer, le ciel, l’on retrouvera : ciel, élément spirituel, immortalité, intellect, principe actif, aspect masculin.           georgiana est, en effet, la représentation du principe féminin, cependant il reste encore à définir de quel aspect de ce concept elle est le symbole, car il y a deux types différents du principe féminin. l’un étant l’image archétypale de la femme amante et l’autre l’image archétypale de la femme mère. la première est désignée dans la philosophie grecque comme le type aphrodisien et la seconde comme le type démétrien.(23)           georgiana ne présente aucun trait de la femme mère ou femme fertile, donc ne correspondant pas à l’archétype démétrien voyons en quoi elle s’apparenterait au type aphrodisien. l’un des traits les plus nets réside dans son amour tendre et aveugle pour son époux. pour elle, l’amour que aylmer lui porte émanerait de la sphère du sacré : holy love, dira-t-elle. ce terme donne une toute autre dimension à leur relation. elle apparaît sous un jour de victime dévote dans la foi et dans l’amour qu’elle voue à aylmer, et celui-ci se montre telle une déité sanglante demandant des sacrifices humains : « i submit, » replied she calmly. « and, aylmer, i shall quaff whatever draught you bring me; but it will be in the same principle that would induce me to take a dose of poison if offered by your hand. »(**) (**) « je me soumets », répondit-elle calmement. » « et aylmer, j’avalerai n’importe quel breuvage que vous m’amènerez; mais ce sera sur le même principe qui me conduirait à prendre une dose de poison si c’est votre main qui me l’offre. » car effectivement dans cette scène georgiana fait penser à la victime humaine lors des rites sacrés où l’on immolait une vierge afin d’avoir accès à la création ou procréation.           d’après de nombreux rites répertoriés auprès des civilisations les plus diverses, on a pu se rendre compte que sans la victime humaine immolée, la création ne pouvait pas être assumée.           par ailleurs, l’archétype démétrien est bien présent lui aussi dans ce récit, mais il est à mettre en rapport avec l’entité symbolique de la terre-mère. elle seulement est créatrice et reproductrice, et, enfin, fertile, car elle seulement produit de la matière organique et vivante. à noter qu’elle peut également être appelée la terre genitrix, à savoir celle qui engendre. nombre de mythes donnent à cette image symbolique la qualité de créatrice des hommes, des végétaux et des minéraux. on lui attribue également une matrice souterraine où les différents embryons seraient en gestation. en 1819, le révérend john heckenwelder, historien et religieux protestant nord-américain, rapportait un mythe amérindien, que possiblement hawthorne connaissait, selon lequel les premiers hommes vécurent dans les entrailles de la terre où ils menaient une vie à moitié humaine, car ils étaient, paraît-il, en quelque sorte des embryons encore imparfaitement formés. l’imperfection de aminadab pourrait s’expliquer au travers de ce mythe. aminadab, qui de plus reste dans les souterrains du laboratoire, comme s’il était encore un embryon, un être dans un état non accompli.           l’union du couple aylmer/georgiana apparaît symboliquement comme une hiérogamie, un mariage sacré. le but d’une telle union est de réaliser la création. la hiérogamie est considérée comme étant par elle-même un acte de création à la fois de l’univers et de la vie, tel le mythe du mariage du ciel et de la terre, lequel rapporte que cette union donna naissance à tout ce qui existe : le cosmos, les dieux, la vie. le mariage de aylmer et de georgiana se présente également telle une hiérogamie, cependant leur union demeure stérile parce que l’élément spirituel se trouve absent. quand aylmer, personnage masculin, créa la vie pour la première fois, il obtint un résultat imparfait : en effet, aminadab, malgré qu’il soit vivant, sera décrit tel un être imparfait, demeurant à l’état animal. par contre la terre-mère, entité féminine, peut créer toutes les formes de vies. hawthorne semble suggérer par là que la création d’un être vivant ne peut être assumée que lorsque le principe féminin se trouve présent, car d’après les mythes évoqués l’on constate que la création ne peut jamais être produite par le principe masculin uniquement. quant au cas d’une hiérogamie, la création se fait par l’union des contraires. on peut ainsi conclure que la création ne serait possible que s’il y a le principe féminin associé à l’influence spirituelle en relation avec l’œuvre. par ailleurs, mircea eliade fait la même constatation en étudiant les mythes cosmogoniques. il dira à ce sujet : « il est question aussi bien de la hiérogamie ciel-terre que de la création effectuée uniquement par la terre-mère. »(24)           dans la création de aylmer, il n’y a pas la complémentarité du savoir spirituel et du savoir matériel que possède la terre-mère. il se pourrait que ce soit dans le but d’atteindre lui-même cette complémentarité d’éléments que aylmer ait décidé de se marier, et après avoir tenté la création tout seul, il procède par l’expérience de la deuxième possibilité, à savoir celle de la hiérogamie donnant accès à la création par l’union des contraires. b) l’initiation de georgiana.           dans ce récit, l’initiation concerne moins le passage de l’adolescence à la maturité comme c’est le cas dans certaines sociétés traditionnelles où le néophyte est introduit, à cette occasion, aux fonctions de son système social, que le passage d’un état d’immaturité spirituelle vers un état supérieur. effectivement, l’initiation de georgiana dont aylmer est l’initiateur, peut être considérée comme étant une initiation métaphysique. avec cet objectif, elle sera soumise à toute une série de rituels et d’épreuves allant de la perte de la conscience à des états seconds, passant de la mort à la résurrection dans une nouvelle condition d’existence. cette mort initiatrice, appelée aussi « petite mort », ne correspond pas à l’arrêt des fonctions organiques vitales, mais à l’éveil à la conscience de la mort. dans de nombreuses traditions mystiques, le chaman ou l’initiateur guide le sujet dans une régression vers le stade prénatal afin de se rendre contemporain du jour de la création. de même que dans ce récit, aylmer tentera de faire renaître georgiana à un niveau spirituel et physique de perfection. symboliquement on peut considérer qu’elle remonte dans le temps mythique afin de revivre le jour « un » de la création. la mort de georgiana, qui a lieu à la fin du récit, peut être interprétée comme l’épreuve finale des cérémonies et des rites initiatiques aboutissant à la résurrection, c’est-à-dire à une naissance symbolique dans un état nouveau d’existence.           les différentes étapes de l’initiation de georgiana décrites dans ce conte correspondent parfaitement aux traits caractéristiques et communs à la majorité des cérémonies d’initiation secrètes répertoriées par mircea eliade, à savoir : « 1. le mystère débute, partout, avec la séparation du néophyte d’avec sa famille et une retraite dans la brousse[...] 2. en mainte région, il existe dans la brousse une cabane initiatique. c’est là que les jeunes candidats subissent une partie de leurs épreuves et sont instruits dans les traditions secrètes[...] 3. « [...] des opérations spécifiques (corporelles) [sont effectuées sur le candidat] »(25). ainsi la première étape de l’initiation de georgiana consiste à la séparer de son milieu habituel et à l’emmener dans le laboratoire : they were to seclude themselves in the extensive apartments occupied by aylmer as a laboratory [...].(*) (*) ils devraient se retirer dans les vastes appartements occupés par aylmer en guise de laboratoire [...]. ce départ correspondrait au voyage qu’entreprend le néophyte lors du début de son initiation. le laboratoire serait le lieu éloigné et secret des initiations, lieu effrayant pour le non initié. de sorte que georgiana s’évanouit au moment d’y pénétrer, après une violente réaction émotive se traduisant par une somatisation comportant la chute de la température du corps, un tremblement des membres et la perte de la conscience : as he led her over the threshold of the laboratory, georgiana was cold and tremulous. [...]. his wife fainted.(**) (**) en la conduisant à travers le seuil du laboratoire, georgiana était froide et tremblante. [...] son épouse s’évanouit. cet état préfigure la mort du néophyte et annonce sa renaissance dans un état spirituel de perfection. en même temps la peur de la mort ressentie par georgiana est présente et s’inscrit dans une série de mots tels que : cold, froide, connotant la mort, voire même l’état de cadavre; tremulous, tremblante, qui provient étymologiquement de tremble, trembler, et que l’on pourrait interpréter par trembler de peur, être effrayé. pour georgiana il s’agit d’être effrayée par la peur de mourir. fainted, évanouie, quant à lui correspondrait à la représentation de l’état de mort qu’évoque une personne au moment où elle est évanouie.           dans les ténèbres produites par son évanouissement, georgiana effectue le passage du niveau profane (le lieu extérieur au laboratoire) à l’espace sacré (le monde de l’intérieur), tout comme dans le mystère de l’initiation, le symbolisme des ténèbres vécu au moment de l’entrée dans les lieux où la retraite du candidat se fera, apparaît comme très important car symboliquement cela représente l’entrée dans le monde embryonnaire de l’existence, aussi bien sur le plan cosmique que sur le plan de la vie humaine. le laboratoire de aylmer trouve de la sorte bel et bien sa correspondance avec le monde intra-utérin de la terre-mère, comme précisé antérieurement dans la première partie de la présente étude. le boudoir correspondrait au ventre maternel, à l’utérus, là où loge l’embryon, à savoir georgiana, car elle est traitée en tant que tel dans cette pièce agencée spécialement par aylmer pour l’accueillir pendant le traitement. là elle subira diverses épreuves, tout comme le candidat d’une société traditionnelle, par exemple être soumise à un certain conditionnement provoqué par l’isolation, l’alimentation, la température ambiante, l’éclairage et des fumigations, etc. : in his interviews with georgiana, aylmer generally made minute inquiries as to her sensations and whether the confinement of the rooms and the temperature of the atmosphere agreed with her. [...] georgiana begun to conjecture that she was already subjected to certain physical influences, either breathed in with the fragrant air or taken with her food.(***) (***) pendant ses entretiens avec georgiana, généralement aylmer faisait de petites enquêtes concernant ses sensations et si la réclusion des chambres et la température de l’atmosphère lui convenaient. [...] georgiana commença à conjecturer qu’elle était d'ores et déjà sujette à certaines influences physiques, soient inhalées dans l’air parfumé ou prises avec sa nourriture. ce conditionnement aboutira à sa mort pour ensuite avoir accès à une nouvelle naissance en accord avec le cycle de la gestation. mais auparavant son instruction dans les traditions secrètes doit avoir lieu. par conséquent, aylmer choisira de s’entretenir avec georgiana au sujet de l’alchimie et de ses adeptes : and [aylmer] spoke in glowing language of the resources of his art. he gave a history of the long dinasty of the alchemists, who spent so many ages in quest of the universal solvent by which the golden principle might be elicited from all things vile and base.(*) (*) et [aylmer] parlait des ressources de son art sur un ton enflammé. il fit le récit de la longue dynastie des alchimistes, qui consacrèrent de nombreux siècles en quête du solvant universel par lequel le principe doré doit être soustrait de toutes choses viles et basses.           le mystère à révéler à l’initié est donc celui de la transmutation des métaux et celui de l’élixir de vie. en d’autres termes, et par correspondance, il s’agirait de la transmutation de l’être inaccompli (le plomb) vers l’état d’illumination (l’or) ainsi que de la vie éternelle (élixir d’immortalité) dont, selon la tradition, seulement les êtres réalisés intérieurement peuvent jouir. pour aylmer, la tradition correspondrait à la pratique de l’alchimie; pratique qui est considérée tel un art dans le sens de la pratique du grand Œuvre. pour lui, la tradition est un savoir occulte, réservé uniquement aux initiés (appelés également adeptes ou artistes) et retransmis de bouche à oreille. pour ce qui est de la trace de son propre cheminement, aylmer montrera à georgiana les secrets du trésor accumulé au cours de ses longues années d’étude, recherche et pratique de l’Œuvre. aylmer reappeared and proposed that she should now examine his cabinet of chemical products and natural treasures of the earth. among the former he showed her a small vial, in which [...], was contained a gentle yet most powerful fragrance, [...] a small crystal globe containing a gold-colored liquid [...] the elixir of immortality. »(**) (**) aylmer réapparut et lui dit qu’à présent elle devrait examiner son cabinet de produits chimiques et de trésors naturels de la terre. parmi les premiers il lui montra un petit flacon, dans lequel, [...], était contenu un parfum léger quoique des plus puissants, [...] un petit globe de cristal qui contenait un liquide de couleur doré [...] l’élixir de vie. »           la dernière phase des rites d’initiation évoquée par eliade se réfère à des opérations spécifiques sur le corps du candidat, de même que dans ce récit l’extirpation de la marque de naissance constitue la dernière phase des opérations de aylmer sur le corps physique de georgiana. la signification symbolique de cette dernière étape est le passage de la mort à la résurrection, car ce n’est qu’à travers la mort que le néophyte peut dépasser sa condition profane : l’accès à la spiritualité se traduisant par un symbolisme de la mort. c) le royaume végétal.           mis à part cette structure imageante de la diade ciel/terre, il y a dans ce récit un bon nombre d’autres constellations imageantes ayant une correspondance symbolique et en particulier avec la symbolique tellurique, comme par exemple l’imagerie qui est en relation avec la plante et sa morphologie. celle-ci entretient sous le plan du symbole quelque ressemblance avec l’arbre. l’imagerie de la fleur est représentée ici par la rose et le géranium ainsi que leur cycle végétal. le royaume végétal constitue l’une des formes de la vie de la production de la terre-mère. l’ensemble des images apparemment fragmenté, et même disloqué, s’articule progressivement autour de cette image maîtresse qu’est la terre.           pour hawthorne la création ne peut avoir lieu qu’à partir de ce qui est représenté derrière l’imagerie tellurique. ainsi dans la diade ciel/terre, l’élément le plus investi est le second. la question philosophique de la création se trouvant de telle sorte déterminée par la suprématie accordée à la terre sur le ciel. de sorte que dans cette structure imageante relevant du royaume végétal les images se présentent d’un prime abord disloquées, chacune en position autonome, apparemment sans enchaînement sémantique; mais au fur et à mesure que l’analyse avance, un fil significatif se dégage qui permet l’accès au réseau de sens de la structure centrale. ainsi à travers celle-ci, relevant du royaume végétal, hawthorne suggère l’hypothèse selon laquelle la mort ne devrait pas être envisagée comme la fin de la vie, mais comme un changement de niveau d’existence, car georgiana, en tant qu’être humain, répond à l’ordre cyclique de la nature.           à travers la constellation d’images créée à partir de la « plante », le « cycle », la « fleur » (rose ou géranium), et les couleurs (jaune, vert, rouge et blanc), hawthorne tient un discours sur la création et ses différentes étapes, à savoir la hiérogamie, la fécondité, le renouvellement, le cycle et la production. la question de la création comprenant plusieurs niveaux : la biogonie, la cosmogonie, mais aussi la création littéraire. ce dernier est traité au chapitre suivant : « la marque de naissance ou la marque de la création. » l’analyse de cette constellation permettra de mieux comprendre toute la richesse symbolique de la marque de naissance. la plante.           dans le récit il y a une plante, un géranium, laquelle à l’étonnement de georgiana accomplit en quelques instants son cycle biologique complet, à savoir la germination, la croissance de la tige et l’apparition du bouton en fleur; puis l’éclosion de celui-ci, le flétrissement des pétales et la chute des graines du centre de la fleur sur la terre. les grains de pollen, agents mâles, par l’intermédiaire des graines fécondées tombant sur la terre, l’élément féminin, ritualisent l’union des contraires qui, à son tour, produit la germination et renouvelle le processus cyclique. ainsi s’accomplissent devant ses yeux et par métaphore interposée, d’une part, le cycle de sa propre vie, et d’autre part, le cycle de l’existence de son mariage avec aylmer. le cycle.           le cycle complet de la plante est décrit comme suit. la germination : [georgiana] was soon startled to perceive the germ of a plant shooting upward from the soil. la croissance de la tige : there came the slender stalk. la croissance des feuilles : the leaves gradually unfolded themselves. l’éclosion de la fleur : and amid them was a perfect and lovely flower. la chute et la mort : [...] the whole plant suffered a blight, its leaves turning coalblack as if by the agency of fire. la fertilisation et le renouvellement du cycle : and leave nothing save its brown seed vessels; [...](*) (*) bientôt [georgiana] fut étonnée de voir le germe d’une plante s’étirant droit tout au haut du terreau. [...] les feuilles se déplièrent progressivement; et au milieu d’elles se trouvait une fleur parfaite et magnifique. [...] l’ensemble de la plante pâtit de flétrissure, ses feuilles devinrent noir-charbon comme sous l’action du feu. [...] et ne laissera rien à part ses vaisseaux de grains marrons; [...] (les italiques m’appartiennent).           cette scène fonctionne telle la métaphore du cycle de la vie de georgiana, dont le nom évoque la terre (géo-) et ne comporte pas l’étape du flétrissement de la fleur, c’est-à-dire la phase du déclin chez l’être humain, comme si au moyen de cette absence la mort prématurée de georgiana, à la fleur de l’âge, serait de telle sorte annoncée, car, en effet, elle ne connaîtra pas de vieillissement. des quatre phases de l’existence humaine, trois seulement sont décrites en rapport avec georgiana, à savoir la naissance, la jeunesse et la mort. enfin, pour ce qui est de la métaphore du cycle d’existence de leur mariage, de même qu’il n’y a pas d’épanouissement de la fleur lors de l’accomplissement de son cycle, il n’y a pas d’accomplissement non plus dans leur mariage, car presqu’aussitôt après le début de leur vie en commun survient la mort de georgiana, et le mariage se termine à ce moment là. par ailleurs, la régénérescence ou renouvellement promis du cycle de la plante grâce à ses graines, suggère qu’il sera de même pour georgiana, régénérescence qui dans ce cas doit se comprendre comme une renaissance dans l’au-delà, mais seulement après la mort physique. le rapprochement entre le niveau végétal et le niveau humain s’effectuant par le circuit contenu entre ces deux niveaux. dans de nombreuses traditions provenant de différentes civilisations archaïques, les hommes sont considérés comme des simples projections de la matrice végétale. l’idée de base de cette structure imageante en rapport avec le cycle végétal étant celle de la vie qui se régénère périodiquement, car la végétation est la manifestation de la réalité vivante. la fleur.           pour ce qui est de la fleur, deux variétés sont décrites dans le récit : la rose et le géranium. la première est évocatrice des joues de georgiana, mais aussi de la personne elle-même. sur le géranium, aylmer effectue une expérience chimique similaire à celle qu’il aurait pu mener sur le corps physique d’une personne.           les joues de georgiana sont souvent comparées à l’image de la rose : it needed but a glance [...] to change the roses of her cheek into a deathlike paleness, [...]. (**) (**) il n’avait besoin que d’un coup d’œil [...] pour changer les roses de ses joues dans une pâleur de mort, [...]. elles entretiennent en commun avec cette fleur l’aspect de la corolle ouverte : a healthy though delicate bloom(***). ce dernier terme se réfère à une fleur au moment de sa complète éclosion. la couleur est également un autre élément important dans ce rapprochement : the mark wore a tint of deeper crimson, which imperfectly defined its shape amid the surrounding rosiness.(*) (***) une mine robuste quoique délicate. (*) la marque comportait une teinte d’un rouge plus sombre, qui définissait imparfaitement sa forme au milieu du rose environnant. rosiness, qui vient de rosy, signifie en particulier la couleur rose ou rouge de la rose. par ailleurs, ces roses imagées peuvent être également rouges : a stronger infusion would take the blood out of the cheek, and leave the rosiest beauty a pale ghost.(**) (**) une infusion plus forte enlèverait le sang de la joue, et laisserait la beauté la plus rosée tel un fantôme pâle. ou bien blanches : there she beheld herself pale as a white rose and with the crimson birthmark stamped upon her cheek.(***) (***) là elle se voyait pâle comme une rose blanche avec sa marque de naissance cramoisie, estampée sur sa joue. as a white rose est une métaphore au travers de laquelle la personne même de georgiana se trouve décrite. en d’autres termes, la rose devient son symbole. par ailleurs, les pétales de la rose sont mis en relation avec les cinq sens, tandis que le cœur de la rose sera comparé à l’esprit de georgiana : « my earthly senses are closing over my spirit like the leaves around the heart of a rose at sunset. »(****) (****) « mes sens terrestres se referment sur mon esprit comme les feuilles autour du cœur de la rose au coucher du soleil. »           d’une manière générale, la fleur est un symbole du principe passif, c’est-à-dire du principe féminin, donc de la terre, à son tour symbole de la mère et archétype démétrien. dans rappaccini’s daughter, la fille de rappaccini, de nathaniel hawthorne, faisant partie du recueil mosses from an old manse, ce même jeu de correspondances apparaît entre la jeune femme, béatrice, qui est la fille de rappaccini, un médecin réputé qui cultive un jardin de plantes médicinales, et le royaume végétal. béatrice est considérée telle une fleur : the most splendid of the flowers [...] the human sister of those vegetables ones, as beautiful as they.(*****) (*****) la plus splendide des fleurs [...] la sœur humaine de celles qui sont végétales, aussi belle qu’elles. in la fille de rappaccini.           quant au géranium, cette fleur n’apparaît qu’une seule fois vers la fin du récit. cette scène se trouve particulièrement en relation avec la régénérescence de georgiana. idée qui se dégage par l’analyse symbolique des couleurs de la plante et par l’analyse étymologique du mot géranium. on the window seat there stood a geranium diseaced with yellow blotches, which had overspread all its leaves. aylmer poured a small quantity of the liquid upon the soil in which it grew. in a little time, when the roots of the plant had taken up the moisture, the unsightly blotches began to be extinguished in a living verdure.(******) (******) sur le rebord de la fenêtre se trouvait un géranium malade avec des taches jaunes, qui s’étaient répandues sur toutes ses feuilles. aylmer déversa un peu de liquide sur le sol où il poussait. en peu de temps, quand les racines de la plante eurent absorbé l’humidité, les taches laides commencèrent à s’effacer laissant une verdure vivante.           deux couleurs sont présentes : le jaune (yellow) et le vert (verdure). le premier est ici annonciateur du déclin dans le cycle végétal, mais il indique aussi le vieillissement déjà commencé et les approches de la mort. le jaune pourrait être considéré, dans cette logique, comme un substitut du noir, couleur qui, par ailleurs, est présente dans cette scène au travers du mot soil, la terre. le jaune a la valeur de l’automne et précède la noirceur de mort hivernale dans le cycle des saisons. dans cette scène, aylmer assume symboliquement le rôle du laboureur au moment où il verse du liquide dans le terreau, comme s’il fertilisait la terre par ce geste. à ce moment la plante retrouve sa verdeur, ici synonyme de vigueur, de la force du printemps.           par son étymologie, le géranium (geranos : grue) est associé à l’oiseau grue, symbole de longévité. par ailleurs, la grue est symboliquement en rapport avec l’aspect cyclique de l’épreuve labyrinthique elle-même. si cette image apparaît à la fin du récit c’est aussi parce que, d’une part, georgiana sort, à ce moment de la narration, des épreuves initiatiques que aylmer lui a fait subir, et d’autre part, le lecteur sort du labyrinthe des jeux d’images du conte. mais il y a encore une autre image significative chez l’oiseau grue, et qui est en relation avec les couleurs. tout comme georgiana, cet oiseau a la tête rouge et le corps blanc. en outre, le retour cyclique de la grue est également un symbole de régénérescence associé au printemps.           de par sa forme extérieure, le géranium ressemble à un petit arbre dans la mesure où ses feuilles, racines et fleurs sont décrites. ainsi il y aurait entre l’arbre et sa régénérescence cyclique une étroite symbolique car du fait que celui-ci se régénère périodiquement pendant des années, on lui attribue le caractère d’immortalité. associé à l’arbre, l’image de l’arbrisseau du géranium met en communication les deux niveaux du cosmos : le souterrain et la terre par ses racines fouillant les profondeurs où elles s’enfoncent; le ciel par ses branches supérieures, attirées par la lumière du soleil. dans cette communication a lieu l’union des contraires. de même que l’image de l’astre, la marque de naissance que porte georgiana sur sa joue gauche et qui a la forme d’une main, est, elle aussi, enracinée dans les profondeurs de la jeune femme. il y aurait une analogie entre l’enracinement végétal et le système de ramification organique chez l’homme : l’arbre apparaît dès lors comme l’image cosmique de toute espèce vivante sur terre. parce que les racines de l’arbre plongent dans le sol et que ses branches s’élèvent au ciel, l’arbre est universellement considéré comme le symbole des rapports qui s’établissent entre la terre et le ciel. la marque de naissance symboliserait le lien qui unit le spirituel et le matériel, l’intérieur et l’extérieur de cet être.           enfin, en quittant cette structure imageante reliée à la terre et, par extension, à georgiana, la valeur symbolique des couleurs principales investie dans ce récit constituera le dernier point à analyser en rapport avec une autre structure imageante constituée à partir de l’ensemble : « cœur », « sang », « centre », « rouge » et « blanc ». le cœur et le sang.           le cœur est le siège des sentiments, et par là l’expression de la vie spirituelle. en effet, dans ce récit, il y a une étroite relation entre l’émotif et le spirituel. le cœur fait partie du régime d’images reliées au symbole ciel de notre diade ciel/terre. le changement des couleurs sur les joues de georgiana dépeint l’extériorisation des émotions de la jeune femme. dans ce constant changement de couleurs se trouve l’aspect dynamique du principe actif, mais imperceptible autrement, de la vie intérieure, émotive ou spirituelle. il y a une relation physiologique entre le cœur et le sang, en ce sens que cet organe assure la circulation sanguine : le cœur est donc un organe central et vital. par ailleurs, il y a un mouvement binaire, systole et diastole, impliquant que le centre ne peut être un point immobile, mais dynamique : this mimic hand [...] now lost, now stealing forth again and glimmering to and fro with every pulse of emotion that throbbed within her heart(*) (*) cette main mimée [...] tantôt disparaissant, tantôt encore s’insinuant et brasillant de-ci de-là à chaque battement de l’émotion qui palpitait dans son cœur le blanc et la mort.           cette couleur représente l’état du passage de la vie à la mort. elle absorbe l’être et l’introduit au monde lunaire. le blanc en ce sens s’oppose au rouge, car lorsque le rouge est en relation avec le sang et son afflux, le blanc par contre est en relation avec la pâleur du corps, c’est-à-dire avec l’absence de sang, et s’il y a pâleur et exanguinité, l’idée de mort se manifeste. ce jeu d’oppositions : rouge/vie, blanc/mort, est réitéré à différents moments du récit, car il en est le thème central : to change the rosiest of her cheek into a deathlike paleness(**) ou encore : a bas-relief of ruby on the whitest marble.(***) (**) pour changer les roses de ses joues dans une pâleur de mort. (***) un bas-relief de rubis sur le plus blanc des marbres.           les oppositions sont claires : roses en tant que couleur de vie, d’afflux sanguin opposé à paleness, pâleur, soit au reflux de chaleur et de vie. puis ruby, rubis, métaphore de rouge connotant la couleur du sang et s’opposant au blanc du marbre, pierre de la statuaire par excellence et qui de plus établit une forte connotation de mort : « [...] and leave the rosiest beauty a pale ghost. »(*) (*) « [...] et laisserait la beauté la plus rosée tel un fantôme pâle. » georgiana serait donc un personnage féminin habité par une entité masculine : la marque de naissance. la première étant en relation avec le symbole terre, la deuxième avec le ciel. les deux entités en opposition cohabitant dans un seul et même corps. par ailleurs, aylmer et georgiana fonctionnent en opposition, tout comme aylmer et aminadab; l’un étant l’esprit, l’autre la matière. aucun ne jouit de la parfaite harmonie d’un échange des forces célestes et terrestres, d’où l’idée de leur imperfection. les trois apparaissent à la fin de cette analyse moins comme des personnages que comme des symboles, c’est-à-dire des représentations de concepts, ou des idées abstraites employées par hawthorne de manière à mettre en place les éléments d’une pensée philosophique portant sur le thème de l’imperfection de la création. thème qui du reste n’est abordé qu’au moyen des symboles, de mythes et d’une imagerie en rapport avec la biogonie et la cosmogonie, tous des archétypes vivants, expression de l’imaginaire. cette réflexion mène à une autre plus proche de la personne même de nathaniel hawthorne, à savoir son interrogation concernant sa propre création littéraire, ainsi que nous allons le voir à présent.   iv. the birthmark, la marque de naissance ou la marque de la création.           the birthmark est le titre du conte. en analysant ce mot dans ses deux composantes : birth, naissance, et mark, la marque, on traduira donc ce titre par la marque de naissance et non pas par « la marque sur la joue » ainsi que l’édition bilingue garnier flammarion a présenté ce récit au public français. pris dans ce dernier sens, ou plutôt contresens, la connotation principale du mot birth, naissance, qui est le sens de la création, thème central du conte comme je viens de le démontrer, et qui se trouve annoncé dans le titre, est de la sorte amputé.           cette marque est placée sur la joue gauche de georgiana, côté symbolisant l’aspect féminin, passif, lunaire, aquatique, chaotique, le blanc, la mort, la nuit, l’ouest, etc. c.g. jung fait remarquer à ce propos : « le côté gauche (sinister !) est le côté sombre, celui de l’inconscient. ce qui est à ‹gauche› est défavorable, ce qui est à gauche est maladroit. »(26) tandis que la « marque de naissance », contrairement à la symbolique de « gauche », connote des éléments qui s’opposent. toutefois, l’un et l’autre constituent deux symboles opposés mais inséparables à partir du moment où ils se trouvent réunis dans un même corps, celui de georgiana. peut-être encore que leur unique point en commun serait celui d’être sombre, comme le précise jung, qualité présente également pour la marque elle-même.           en soi cette marque n’a rien de fantastique si ce n’est la manière dont les personnages de l’histoire l’interprètent, manière qui lui confère son caractère mystérieux. en somme, ces personnages pourraient se grouper en trois catégories : les prétendants à la main de georgiana, les femmes, et, enfin, les hommes. pour les premiers qui se sentaient attirés et stimulés d’une manière sensuelle par ladite marque au point qu’ils auraient risqué leur vie pour le seul plaisir de l’embrasser, elle comporterait donc un caractère érotique. many a desperate swain would have risked life for the privilege of pressing his lips to the mysterious hand (**) (**) plus d’un soupirant désespéré aurait pu risquer sa vie pour avoir le privilège de poser ses lèvres sur la main mystérieuse. pour la deuxième catégorie, des femmes insupportables qui fréquentaient georgiana et qui affirmaient que la marque de naissance l’enlaidissait, elle apparaît tel un objet de convoitise érotisé. some fastidious persons — but they were exclusively of her own sex — affirmed that the bloody hand [...] quite destroyed the effect of georgiana’s beauty, [...] (*) (*) quelques personnes fastidieuses — mais elles n’étaient exclusivement que de son propre sexe — affirmaient que la main de sang [...] détruisait assez l’effet de la beauté de georgiana, [...] et, enfin, pour le troisième groupe, constitué par des hommes (en dehors des prétendants) : ceux-ci auraient aimé la voir sans la marque pour ainsi admirer un spécimen vivant de la beauté idéale : masculine observers [...] contented themselves with wishing it away, that the world might posses one living specimen of ideal loveliness [...] (**) (**) pour les observateurs masculins, [...] ils se contentaient de souhaiter sa disparition, pour que le monde puisse posséder un spécimen vivant de la beauté idéale [...] l’on constate que seulement là où la marque suscite l’éveil du sentiment érotique, c’est-à-dire parmi le premier groupe, la marque est qualifiée de « mysterious hand », main mystérieuse, or cette expression veut dire : « vérité religieuse révélée d’une manière divine »(27). définition qui place la marque de naissance au centre de sa propre énigme. cette marque serait ainsi la manifestation du sacré, à savoir une hiérophanie. elle est la manifestation d’une réalité qui n’appartient pas au monde physique et profane. pourtant elle est décrite comme ayant la forme d’une toute petite main d’être humain, telle la grandeur de la main d’un pygmée : its shape bore a little similarity to the human hand, though of the smallest pygmy size (***) (***) sa forme ne comportait pas peu de similitude avec la main humaine, quoiqu’elle eût été de la taille d’un pygmée.           le deuxième élément qui a trait au fantastique, et en particulier au merveilleux, est le mot pygmy, pygmée. il place définitivement la « marque de naissance » dans une réalité autre que celle partagée et connue par tous. en effet le pygmée était un être appartenant à un peuple légendaire de nains de la région du nil. ils sont considérés comme étant des génies de la terre et du sol. avec le pygmée, image tellurique, se poursuit donc cette chaîne sémantique en rapport avec la diade terre/ciel. les nains accompagnent souvent les fées, or ces dernières sont également présentes dans le récit et constituent le troisième élément du merveilleux. some fairy at her birth hour laid her tiny hand upon the infant’s cheek (****) (****) [...] quelque fée à l’heure de sa naissance posa sa minuscule main sur la joue de l’enfant, [...] nains et fées font partie de ce que gilbert durand appelle « les symboles de l’inversion ». en effet, ces deux images fonctionnent en tant que symboles de l’inversion dans la mesure où elles représentent l’inversion de l’immense dans le minime. ce sont deux images du sacré (l’immense) dans une forme compréhensible par l’entendement humain (le minime). la légende veut que la fée soit la messagère de l’autre monde, tout comme « la marque de naissance » apparaît telle la manifestation de cet autre monde. la fée est aussi la manifestation d’une divinité. dans le cas présent ce serait une divinité malveillante à l’égard de aylmer et de georgiana, car elle est la cause de leur malheur, de leur fatalité, de la mort de georgiana qui entraînera le veuvage de aylmer ainsi que l’échec dans ses recherches scientifiques. « would you throuw the blight of that fatal birthmark over my labors ? [...] » (*****) (*****) « jetteriez-vous le fléau de cette marque de naissance fatale sur mes travaux ? [...] » blight qui signifie l’influence néfaste et fatal qui évoque le deuxième terme de cette citation : fatal, qui à son tour suggère le fatum, c’est-à-dire tout ce qui est dans la destinée chez l’homme, telle la ruine, la maladie, la souffrance et la mort. in this manner, selecting it [the birthmark] as the symbol of his wife’s liability to sin, sorrow, decay, and death. (*) (*) de cette manière, il la choisit comme le symbole de l’assujettissement de sa femme au péché, à la souffrance, au déclin et à la mort. bien qu’elle soit une hiérophanie, elle n’est pourtant vénérée par aucun des personnages, or dans le langage courant le sacré est digne de vénération. la définition générale du sacré rappelle son aspect insupportable pour l’homme, car la révélation du tremendum provient d’un domaine séparé de notre réalité, et elle est régie par des lois inconnues de nous. souvent elle sera interdite aux non-initiés et inviolable parce que le sacré est tabou. dans des termes empruntés à gilbert durand, la « marque de naissance » ferait partie des images nocturnes à cause des caractéristiques de profondeur qu’elle comporte. cette marque serait donc la manifestation du divin et d’essence immense, manifestée telle une miniature. gulliverisée, elle démontre sa nature inversée afin d’être saisie par l’entendement humain.(28)           par ailleurs, aylmer perçoit cette marque comme la manifestation de quelque chose lui révélant ses propres limites, car progressivement il se rend compte qu’elle est régie par des lois inconnues de lui. malgré l’échec enduré, aylmer aura pourtant vécu une expérience religieuse, ce qui lui permettra de porter un regard autre sur le monde. il aura une vision plus proche du réel, car le sacré permet à l’homme religieux de vivre dans la réalité en tant que telle. yet, had aylmer reached a profounder wisdom, [...] to find the perfect future in the present. (**) (**) cependant, si aylmer avait atteint une connaissance plus profonde, [...] à trouver le futur parfait dans le présent. ce present comporterait une valeur de « réalité ».           considérant « la marque de naissance » comme la manifestation et la révélation du sacré, par conséquent étant tabou, aylmer apparaît comme un profanateur. la vision intellectuelle qu’il possédait avant d’avoir vécu l’expérience religieuse le conduit à tenter l’extirpation de la marque avec l’objectif de rendre la création parfaite. et tant qu’il ne s’était pas libéré de cette vision initiale, il continuait à considérer la marque comme le symbole de la relation humaine avec la matière.           dans la légende de saint georges et le dragon, le guerrier ne sera sanctifié qu’après la lutte contre la bête. le dragon dans l’imagerie alchimique possède un pouvoir qui tue, de même georgiana, qui est à la fois saint georges et le dragon, c’est-à-dire georgiana et « la marque de naissance », se présente à la vision de aylmer comme l’ennemi qui doit être vaincu afin de s’approcher de la pierre philosophale, ou dans d’autres termes du secret de la force créatrice. the philosopher should lay his hand on the secret of creative force and perhaps make new worlds for himself. (***) (***) le philosophe puisse mettre la main sur le secret de la force créatrice et fasse peut-être des mondes nouveaux pour lui-même. ce qui voudrait dire posséder la force de création nécessaire afin de faire une cosmogonie et une biogonie à sa mesure. ce serait devenir l’égal de dieu.           selon l’imagerie biblique de l’ancien testament, la main de dieu est celle du créateur qui crée et protège sa création. ainsi « la marque de naissance », de par sa forme, celle d’une main miniature, serait la représentation de celle du créateur. or, dans les saintes écritures, il est dit que s’il y a opposition à la volonté du tout puissant, et tel est le cas dans la démarche de aylmer en voulant la faire disparaître, alors la main de dieu détruit. h           enfin, mon hypothèse quant à la signification de cette main est la suivante : georgiana serait l’espace par où une main viendrait cultiver, labourer, travailler. la marque étant la trace laissée par cette main qui sillonne au moyen des signes d’écriture. c’est-à-dire la main de l’écrivain laissant sur l’espace de la feuille blanche un corps écrit, qui est un corps marqué par les signes de sa création, à savoir l’écriture. en ce sens the birthmark est la marque de la création littéraire de hawthorne lui-même. georgiana devient alors le corps fragmenté, et non pas complet, parce que toute écriture, noircissement, ne se fait que par fragments, et aussi parce que toute écriture est inachevée dans la mesure où elle n’a ni commencement ni fin. elle se constitue par fragments, par petits bouts rattachés les uns aux autres au travers des fils de sens, d’images, de symboles.           si ce corps d’écriture est symbolisé ici par le corps d’une femme, je vois là l’expression de la nature insaisissable des artistes, à la fois mâle et femelle, comme s’il y avait dans leur nature une impossibilité à être des individus définis. la création apparaît alors comme provenant de cette complémentarité des principes opposés, ainsi que je l’ai déjà explicité préalablement, la création semble prendre racine à partir de l’union des contraires, et dans le cas où cette forme serait absente, alors la création est assumée par un être complet, se suffisant à lui-même : l’androgyne. mircea eliade explique la raison pour laquelle le mythe de la hiérogamie n’est pas universel : c’est parce que dans les sociétés où l’on ne retrouve pas trace de ce mythe on retrouve par contre celui de l’androgyne(29). s’il est vrai que pour l’homme archaïque aucune création ne peut se faire sans l’intervention du sacré, alors je concluerai que la hiérophanie dans ce récit serait la manifestation de la création de hawthorne. la marque représente symboliquement l’écriture de l’auteur. or, lui-même décrit cette marque comme le symbole de l’imperfection : the symbol of imperfection.           alfred kazin(30) rapporte les faits que hawthorne mourut d’un arrêt cardiaque, ayant vécu ses dernières années avec le sentiment d’être un écrivain raté. il considérait toute son œuvre comme inachevée, sauf pour the scarlet letter et the house of the seven gables. tout ce qu’il écrivit par la suite ne le satisfit pas. ainsi depuis l’âge de trente neuf ans, âge auquel il écrivit the birthmark, hawthorne avait déjà le sentiment d’échec face à son œuvre de création. le jugement qu’il porte sur aylmer, son délégué dans le récit, semble en fait être une auto-critique : we know not whether aylmer possessed this degree of faith in man’s ultimate control over nature. (*) (*) nous ne savons pas si aylmer possédait ce degré de foi dans le contrôle dernier de l’homme sur la nature.           d’une manière générale on pourrait dire que les trois personnages de ce conte sont les « projections psychiques » de hawthorne ainsi que le fait remarquer jung : « il s’agit au contraire, dans ces figures, de contenus psychiques qui se sont projetés hors de l’inconscient de l’adepte (et de sa soror mystica). »(31) ces figures en question sont le roi et la reine, l’anima et l’animus de l’alchimiste créateur. quant à l’inquiétude de hawthorne, on pourrait réécrire cette même phrase pour mieux constater qu’il s’agit bien de lui-même : « i know not whether i possessed this degree of faith in my ultimate control over my creation. » (**) (**) « je ne sais pas si je possède ce degré de foi dans le contrôle dernier de ma propre création. »           au-delà de la problématique philosophique portant sur la création dont ce récit est le témoignage, il m’est resté après sa lecture la persuasion de la profonde inquiétude ressentie par hawthorne à l’égard de son œuvre littéraire, comme s’il s’agissait pour lui, tout comme le manifeste aylmer, de savoir dans quelle mesure la création peut atteindre l’état de perfection. d’après la manière dont il traite ceci, hawthorne dévoile sa propre vision : la perfection serait un concept allant au-delà des limites de l’esthétique, car le beau s’avère être l’expression d’un état de réalisation spirituelle très élevé chez le créateur lui-même, tout comme dans la démarche alchimique l’adepte ne peut réussir l’Œuvre royale que si lui-même est arrivé à la réalisation de soi, car pour l’adepte, homme religieux, il existe une correspondance indéniable entre l’esprit et la matière. correspondance qui par ailleurs est également présente dans ce récit entre l’espace et sa conceptualisation. le lieu où travaille l’artiste apparaît tel un lieu sacré. il correspond sur le plan physique à son univers intérieur.           atteindre l’état de perfection implique qu’il a fallu à l’artiste et à la matière avec laquelle il travaille un temps de gestation, temps dans lequel la matière de l’œuvre passe par une première phase « noire », occulte, de mort se transformant comme de la matière organique; soit des états de putréfaction et de dissolution qui sont le signe de la première mutation effective de la matière, et qui trouve sa contre-partie dans des états de crise intérieure chez le créateur, telle la mortification spirituelle chez le mystique. états de songe, de rêverie, où l’artiste fait éclater la réalité du quotidien au profit d’un état second d’hallucination, de délire, et qui ne trouve sa fin qu’au moment du passage à la seconde phase qui est celle de la résurrection. renaissance dans une condition d’existence nouvelle pour le mental et pour l’organisme. toutes ces épreuves aboutiront à la phase dernière où la matière de création, informe et laide, est rendue belle et parfaite; soit de la matière accomplie. ceci étant le but suprême poursuivi par le créateur.           mais pour atteindre ce but il faut d’abord que la difficile traversée dans le noir intérieur soit effectuée, car ce n’est qu’en passant par là que la connaisance est obtenue par l’adepte : à travers l’expérience de la désintégration et de la dissolution de son propre être. en d’autres termes, hawthorne fait de aylmer, son homologue, un adepte traversant toutes les péripéties par lesquelles passe l’alchimiste au moment de sa quête. ce qui reste une manière poétique pour traiter de sa propre traversée, sans que l’emprunt à ces images alchimistes ne signifie que hawthorne était un alchimiste.           cette réflexion touche au problème de l’origine des choses, de la création primordiale. au niveau de la trame narrative, hawthorne situe l’action dans la seconde moitié du xviiième siècle, dans un lieu clos : le laboratoire. cependant, au niveau symbolique, il s’agit pour aylmer, le créateur, et pour georgiana, la matière de travail en transformation, de remonter dans le temps fabuleux des commencements; dans l’illo tempore cosmique afin de revivre le jour « un » de la création, et ceci avec le but de faire renaître la matière imparfaite dans un nouvel état de perfection. le laboratoire aussi devient un lieu transgressant la réalité matérielle et se transformant en un lieu fermé, intra-utérin et labyrinthique. lieu où l’œuvre s’accomplit progressivement, tel l’embryon dans son utérus. hawthorne fait éclater la réalité matérielle des choses au profit d’une réalité intérieure se prêtant à l’expérience spirituelle de l’artiste philosophe.           cette transgression que le lecteur initié doit vivre avec lui pour mieux comprendre sa démarche, est inscrite dans le texte sous-jacent au moyen des symboles qui deviennent des mots, des archétypes qui sont des idées et des mythes qui forment des récits parallèles à l’intérieur de l’histoire.           au travers du mythe tellurique de la création, hawthorne évoque par là-même la première hiérogamie cosmique : le mariage de la terre et du ciel. acte premier de création auquel il compare la sienne.           en ce sens ce récit est un fragment de réflexion philosophique à la manière du fragment romantique où une idée est exposée, mais avec le refus d’une philosophie morte. hawthorne marie la réflexion philosophique à la poésie, constituant de la sorte son ambiance particulière.           il répond ici-même à son propre questionnement, à savoir si le créateur peut, ou ne peut pas, accomplir une œuvre parfaite de création. sa réponse est négative et extrêmement pessimiste. l’artiste, selon lui, ne peut accomplir une création parfaite, car l’homme de par sa propre nature est lui-même le résultat d’une création imparfaite, et il ne peut avoir accès ni à la maîtrise ni au savoir du monde spirituel et du monde matériel. pour réussir il faut avoir accès à la parfaite maîtrise de soi, c’est-à-dire à son accomplissement intérieur. l’artiste, suggère-t-il, peut réaliser une création, mais elle sera toujours imparfaite, car il y aura toujours un manque de savoir et de maîtrise au niveau spirituel. à travers la très douloureuse expérience vécue par aylmer, hawthorne avoue sa propre impuissance et son sentiment d’échec concernant sa création littéraire.     notes et bibliographie 1. ce récit bref fait partie du recueil twice-told tales de la deuxième édition augmentée de 1842. la première édition date de 1837. 2. e.a. poe, « l’art du conte », graham’s magazine, 1842, in e.a. poe cahier de l’herne, pp 112-116, livre cité. 3. e. swedenborg, le ciel ses merveilles et l’enfer, voir la « préface » : « il y a, en effet, dans chaque expression de la parole un sens interne, dans lequel sont entendues non des choses naturelles et du monde telles que celles qui sont dans le sens de la lettre mais des choses spirituelles et célestes, et cela non seulement quant au sens de plusieurs mots, mais même quant à chaque mot; car la parole a été écrite par des pures correspondances, afin qu’il y ait dans chaque expression un sens interne. » p 24, paris, société française de la nouvelle église, 1960. 4. c.-g. jung, psychologie et alchimie, paris, buchet/chastel, 1979. 5. h.c. west, « the evolution of hawthorn’s the birthmark. from source to artifact », the nathaniel hawthorne journal, 1976. 6. antonin artaud, le théâtre et son double, p 32, tome iv, paris, gallimard, 1938. 7. voir l’évangile selon jean, i, 1. 8. mircea eliade, le sacré et le profane, p 25, paris, gallimard, 1975. 9. mircea eliade, mythes, rêves et mystères, chap. viii, paris, gallimard, 1978, et traité d’histoire des religions, chap. vii, paris, p.b.p., 1979. 10. mircea eliade, mythes, rêves et mystères, p 211, livre cité. 11. cf. the oxford dictionary of english christian names : « aylmer », london, clarendon press, 1945. 12. julius evola, la tradition hermétique, p 29, paris, éd. traditionnelles, 1975. 13. jean-christophe bailly, la légende dispersée, anthologie du romantisme allemand, p 145, paris, uge 10/18, 1976. 14. f.w. schelling, « idée pour une philosophie de la nature », la légende dispersée, anthologie du romantisme allemand, p 146, livre cité. 15. f.w. schelling, « l’âme du monde », idem, p 150. 16. julius evola, livre cité, pp 39-40. 17. j’écarte volontairement toute relation avec le personnage biblique amminadab, cf. the first book of the chronicles, 15.11, dont le nom est orthographié autrement que le nom du personnage dans la marque de naissance. 18. robert, dictionnaire de la langue française. voir « mal ». 19. les italiques sont employés pour signaler les définitions du mot latin male. 20. cf. the oxford dictionary of english christian names : « georgiana », livre cité. 21. j. evola, métaphysique du sexe, p 165, paris, p.b.p., 1976. 22. aristote cité par evola, idem, p 65. 23. j. evola, idem, chap. 4 : « les archétypes démétriens et archétypes aphrodisiens », p 175. 24. mircea eliade, mythes, rêves et mystères, chap. viii, p 221, livre cité. 25. m. eliade, idem, pp 240 à 246. 26. c.-g. jung, psychologie du transfert, p 69, paris, albin michel, 1980. 27. the concise oxford dictionary. cf. « mysterious » religious truth divinely revealed (vérité religieuse révélée d’une manière divine). 28. g. durand, les structures anthropologiques de l’imaginaire, livre deuxième : le régime nocturne de l’image, chap. i, paris, bordas, 1979. 29. m. eliade, mythes, rêves et mystères, chap. viii, pp 216-219, livre cité. 30. voir l’introduction au selected short stories of nathaniel hawthorne : « hawthorne had also felt himself to be a failure. his sudden death [...] ended his struggle to climb out of the despondency and creative frustration of his years, when he was unable to complete any of his projects. » p 7, greenwich, fawcett publications, 1966. 31. c.-g. jung, psychologie du transfert, p 79. les italiques sont de l’auteur. livre cité.   retour à blockhaus revues retour à la page d'accueil

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