étude symbolique et ésotérique de the birthmark
étude symbolique et ésotérique de the birthmark
ghemma
quiroga-g.
étude symbolique et ésotérique
de the birthmark(1)
au
commencement, dieu créa les cieux et la terre.
la
genèse, 1.1.
à josé jonathan et joachim
l’écriture
de nathaniel hawthorne est sans aucun doute une écriture de l’image relevant
du registre ésotérique. au moyen de celle-ci s’organise, dans
chaque récit, une structure imageante des plus suggestives, où
il inscrit une thèse des plus subversives et imbue d’une vision sacrée
du monde. en effet, l’image poétique de hawthorne relève du langage
des symboles et des mythes ésotériques, et tout particulièrement
de celui de l’alchimie sans que pour autant l’on puisse affirmer que chaque
récit soit une allégorie comportant une morale à proprement
parler, car, s’il est vrai que chez lui l’allégorie n’est que partielle
: tantôt apparaissant, puis disparaissant ensuite, sa morale, quant à
elle, ne s’inscrit pas dans le courant de pensée et des principes de
la morale dominante de son époque, mais bien plus dans des perspectives
philosophiques proches du transcendantalisme, de l’antinomisme ou du gnosticisme.
en sorte que l’on ne peut pas ranger l’œuvre de hawthorne parmi l’abondante
production littéraire à vocation didactique ou moralisante si
présente à son époque. elle ne peut qu’occuper une place
à part. par ailleurs ce que, par contre, il persiste à élaborer
du début à la fin d’un récit est cette même texture
imageante qui apparaît comme le vase détenteur de sa pensée.
ainsi poe fait remarquer que les contes de hawthorne renferment une dimension
double qu’il nomme la « surface » et le « courant souterrain
» respectivement :
un
fort courant souterrain de suggestion court sans cesse
sous la surface où s’exprime paisiblement la
thèse.(2)
la
thèse serait insérée d’une manière occulte dans
la texture imageante du récit; véritable « courant souterrain
» s’insinuant habilement à l’attention du lecteur averti; mais
ce n’est qu’après avoir déchiffré la signification intime
de chaque image et les relations que celles-ci entretiennent entre elles que
l’on peut avoir un accès plus tangible au sens hermétique du texte.
la
raison pour laquelle je pense que hawthorne aurait choisi de s’exprimer de la
sorte se trouverait dans la crainte de l’opprobre social à l’égard
de son œuvre; ce qui aurait pu indubitablement sinon censurer sa production
du moins susciter un refus auprès des éditeurs et des journaux
littéraires, et en particulier ceux qui étaient dirigés
par les démocrates, parti qui l’appuyait. il est vrai, également,
que, en ce qui concerne « le grand public », la mentalité
puritaine de la société marchande de la nouvelle angleterre, en
ce milieu du xixème siècle, n’était pas prête à
accueillir d’autre discours que celui de l’idéologie dominante, et hawthorne,
de par sa vision du monde, ne pouvait que heurter les convictions profondément
enracinées d’une telle société. tels les alchimistes qui,
soucieux d’éviter que le résultat de leurs recherches ne tombe
dans les mains des néophytes, hawthorne dissimule sa pensée du
regard des profanes, et ceci sous le langage des symboles; symboles qui d’ailleurs
ne sont pas les mêmes chez tous les alchimistes, mais dont tous et chacun
étaient sûrs que celui qui étant motivé par une quête
authentiquement philosophique, à la lecture de leur travail, pourrait
sans trop de difficulté comprendre l’essence même du message.
ainsi
la thèse dans la marque de naissance interroge secrètement,
au moyen de ces images ésotériques, la nature même de dieu
et celle de sa création, laquelle dans la vision de hawthorne s’avère
être imparfaite. qualifiant l’œuvre divine de la sorte, la sienne, qui
naîtra par inspiration de la première, il ne pouvait la concevoir
autrement que comme un ratage. dans ce récit, la structure imageante
est conçue à partir de nombreuses références à
des mythes et à des symboles alchimiques tout comme à des philosophes
de la nature tels cornelius agrippa, albertus magnus, paracelse, ou à
des sociétés secrètes comme les rose-croix, mais aussi
des références à des rituels de magie et à des rites
sacrés, tels le passage du « seuil », l’initiation du néophyte
ou des allusions à des concepts comme ceux de l’hétérogénéité
de l’espace en lieu sacré et profane, ou encore à tant d’autres
références à l’ésotérisme en général.
l’ensemble de ces éléments habilement exploités tissent
la structure imageante du texte moins avec l’intention de mettre en place un
décor mystérieux qu’afin de rendre abscons le contenu philosophique
du conte. mais en dehors de ce brassage de connaissances, hawthorne exploite
également le sens premier des mots, à savoir l’étymologie.
ce genre d’emploi était fréquent au siècle dernier. l’intérêt
de ce type d’analyse est qu’elle permet de faire des associations parmi une
filière de mots entretenant entre eux une relation sémantique,
ce qui en l’absence de ce type d’analyse ne serait pas évident. par ailleurs,
un autre intérêt de ces chaînes sémantiques est qu’elles
révèlent des idées disimulées à première
lecture, et qui pourtant se trouvent réitérées dans le
récit.
prenons
l’exemple de l’ensemble d’éléments contenu dans « la marque
de naissance », titre du conte mais qui désigne également
la marque que, effectivement, georgiana porte au milieu de la joue gauche. elle
est décrite comme ayant la forme d’une main miniature et qui pourrait
être considérée, d’emblée, comme la marque fatale
de la condition de déchéance inhérente à la femme.
mais plus on avance dans l’analyse des structures imageantes du récit,
c’est-à-dire dans les significations symboliques possibles pour «
main », en examinant son champ sémantique ainsi que les relations
qu’elle entretient avec les autres symboles ou relations parmi les correspondances
« esprit/matière » s’y rapportant d’une manière ou
d’une autre, plus l’on constate que la signification de « marque »
(mark) et de « naissance » (birth) est plus complexe
que celle annoncée dans le récit selon sa conception allégorique,
à savoir le précepte. la « marque » de « naissance
» qui a la forme d’une « main » « miniature »
(minute hand) et qui est de couleur « rouge » se trouvant
au « centre » de la « joue » « gauche »
de « georgiana », joue qui par ailleurs est comparée
à une « rose » tantôt « rouge », tantôt
« blanche » selon les états d’âme de la jeune femme.
l’alignement de cette chaîne de symboles et images (marque, naissance,
esprit/matière, main, miniature, rouge, rose, blanche, centre, joue,
gauche, georgiana) constitue une structure contenant l’énigme
du rouage de la thèse du conte, mais que je ne révèlerai
qu’à la fin.
en
somme, l’étude que je présente de ce conte consiste en un travail
de déchiffrement des images empruntées à un registre qui
se définit par lui-même comme étant sibyllin. j’ai pris
en compte, également, l’influence de certains ouvrages, et courants de
pensée, qui n’ont pas manqué d’influencer des auteurs de la génération
de nathaniel hawthorne et qui ont été écrits selon des
démarches analogues à la sienne. je me réfère en
particulier au texte de emmanuel swedenborg, le ciel, où d’emblée
il explique la particularité du langage qu’il utilise. il précise
dans la préface qu’il y a une différence entre le sens de la lettre
et le sens interne, ou arcanes, qui est caché dans l’expression de la
parole(3). dans l’écriture de nathaniel
hawthorne il y a également le sens de la lettre ou sens immédiat
du récit, et le sens imagé renfermant une dimension symbolique,
mythique ou archétypale. si j’ai pris en compte le langage des symboles
et les nombreuses références à l’alchimie ou à l’ésotérisme
en général, c’est parce qu’il me semble que leur signification
demeure, encore aujourd’hui, et pour longtemps, un véritable langage
qui, à travers les sociétés et les civilisations, est resté
imprégné et enraciné dans la culture, le folklore, autrement
dit dans l’inconscient collectif. le contenu imagé de ce langage est
en soi une réalité vivante et dynamique habitant au tréfonds
de chacun de nous et agissant à quelque niveau d’existence que ce soit.
contenus intérieurs qui s’expriment à travers la création,
les songes ou encore la maladie, ainsi que carl-gustave jung le fait remarquer
au sujet des archétypes(4).
nathaniel
hawthorne mit six années à concevoir la marque de naissance,
mais il ne l’écrivit qu’en quinze jours(5).
ceci donne à penser que son élaboration ne fut pas uniquement
l’affaire de la composition et de l’agencement de la trame narrative, mais ce
fut peut-être aussi le temps nécessaire pour la juste articulation
des images, mythes et symboles constituant la substance même du conte,
à savoir sa structure imageante, vase détenteur de la philosophie
de l’auteur.
i.
le lieu de la création.
dans
la vision sacrée que hawthorne possède du monde, la spatialité
est hétérogène. il y aurait, d’une part, une spatialité
organisée et habitable et, d’autre part, une région inorganisée
et par conséquent inhabitable. la première par rapport à
cette deuxième serait moins vaste, mais pour l’homme religieux qu’il
était, ce n’est qu’à partir de ce seul endroit où se tient
le centre du monde, à partir d’où seulement peut se faire
la création et l’exploration intime auxquelles se livre le créateur.
hawthorne déclarera, presqu’en justifiant la raison de son retour à
sa ville natale, au moment où il prend la décision de devenir
écrivain : « comme si salem était pour moi le centre inévitable
du monde. » de même, dans la marque de naissance, la spatialité
apparaît nettement divisée en deux : l’intérieur et l’extérieur
du laboratoire de aylmer. chaque partie étant conçue dans des
termes similaires.
l’action
commence à l’intérieur de ces lieux, où aylmer habite avec
son « assistant » : aminadab. cet endroit est d’emblée désigné
par le terme laboratory, du latin laborare, c’est-à-dire
travailler; l’endroit apparaît tel le lieu où aylmer travaille,
et même là où il s’emploie à mener à terme
un travail en cours procédant de la philosophie naturelle, domaine dans
lequel il est présenté comme étant une éminence.
en outre, le narrateur précisera qu’avant de sortir vers le monde extérieur,
aylmer se nettoie le visage de la fumée du fourneau et lave les taches
d’acide qu’il porte sur les doigts, ce qui suggère, d’une part, que le
fourneau se trouve à l’intérieur de l’espace intime du personnage
: d’autre part, ces « acides » font penser à l’acetum
fontis, acide de la source, qui est une puissante eau corrosive ayant le
pouvoir de dissoudre toutes choses créées tout en conduisant à
la plus durable des créations : le mystérieux lapis, la
pierre des philosophes. or, aylmer possède effectivement des acides corrosifs,
tel celui qu’il jettera sur la plaque métallique afin d’effacer de celle-ci
l’empreinte de la main minuscule que georgiana porte sur la joue gauche et qu’il
vient de photographier, ou encore l’acide qu’il versera sur le géranium
malade avec des taches jaunes sur les feuilles, le laissant de la couleur d’une
verdure vivante, acide avec lequel il tentera d’enlever la marque de naissance.
mais surtout, aylmer possède de redoutables connaissances lui permettant
de préparer le « solvant universel ». or, sans le
four, ou l’athanor, un philosophe de la nature ne peut mener à terme
un travail d’alchimie.
aylmer
serait donc un alchimiste qui, au cours de son travail, décide de sortir
de sa retraite et d’aller vers le monde extérieur afin d’épouser
georgiana. symboliquement l’on pourrait considérer ce mariage telle l’allégorie
de l’une des phases de l’œuvre, à savoir l’union psychique des contraires.
auparavant, aylmer assumait parfaitement l’image de l’alchimiste en tant qu’archétype
du célibataire. selon la tradition, l’adepte passait de très longues
années enfermé dans son laboratoire/oratoire, plongé dans
des études et des prières. une fois à l’extérieur,
l’espace est très peu décrit par le narrateur. n’inscrivant pas
cette autre spatialité dans le récit, l’effet de réel produit
demeure de la sorte amoindri. par les déplacements qu’effectue le personnage
dans l’espace, on est conduit dans cette alternance du dehors et du dedans,
mais ce n’est que dans cet espace intérieur et intime qu’est le laboratoire
où aylmer semble trouver sa correspondance avec son mespaceental,
voire spirituel. le passage d’un espace à l’autre apparaît bientôt
comme le glissement allant du concept de l’espace physique au concept métaphysique.
aylmer
apparaît tel le délégué de nathaniel hawthorne, son
double sublimé, derrière l’image de qui le second se décrit
en artiste, philosophe ou encore créateur. le premier traduit la vision
sacrée du monde du second, par le fait même qu’il a une conception
plus intense, plus significative du monde que l’homme non-créateur. cette
perception s’oppose à l’univers profane qui n’assume ni le rôle
ni la démarche ni la recherche du créateur. dans cette conception,
l’espace est également sacré. le lien physique n’est pas homogène,
car il y a rupture entre l’intérieur et l’extérieur. l’artiste
s’est établi au centre du monde pour développer sa création
à partir de cette base. ce centre du monde est matérialisé
par le laboratoire et son fourneau, à partir desquels tout s’organise
et se définit, même la narration.
tout
comme nathaniel hawthorne, aylmer délaisse l’univers social et privilégie
la retraite dans son lieu intérieur où peut s’accomplir pleinement
sa vie spirituelle, et, par ce jeu d’investissement, il obtient le pouvoir de
la création. pour nathaniel comme pour aylmer ce n’est qu’à l’intérieur
de leur espace organisé que leur création est possible. ainsi,
la recherche de son centre à soi apparaît comme une constante pour
l’évolution spirituelle qui permet l’accomplissement et la réalisation
de soi. la centralité du laboratoire, comme lieu physique et comme lieu
mental, est la métaphore du corps et de l’esprit de aylmer dans cette
même axialité.
par
le glissement du lieu physique au corps physique, georgiana, introduite dans
le laboratoire, sera en fait introduite dans le corps physique du créateur.
la pièce où elle est amenée, nommée « boudoir
» dans le texte, a été transformée en lieu clos,
et représente, par ces aménagements, un univers intra-utérin.
il est décrit comme étant un espace feutré, couvert de
draperies, chaud, sans angles droits, excluant le soleil, avec pour unique éclairage
des lampes à huiles parfumées, diffusant une lumière violette
très ténue. dans cet univers, aylmer va tenter de transformer
georgiana, matière imparfaite, en matière parfaite au moyen de
ses connaissances philosophiques sur la matière elle-même.
en
tant qu’alchimiste, aylmer possède le pouvoir de transformer les lieux
physiques, comme plus tard il interviendra sur le corps physique de georgiana.
l’architecte se rapproche ainsi de plus en plus du démiurge, car aylmer
peut altérer la structure même des corps. le boudoir, où
est installée georgiana, a été organisé et agencé
de manière à provoquer chez elle un état second. ces lieux
enchantés, c’est-à-dire qui comportent une dimension magique,
provoquent un glissement de l’espace physique à l’espace métaphysique
de georgiana. on se réfère souvent au théâtre dans
des termes analogues. antonin artaud qui propose une réflexion approfondie
sur le théâtre de tous temps et sa signification dit : «
le théâtre qui [...] provoque dans l’esprit non seulement d’un
individu, mais d’un peuple, les plus mystérieuses altérations.
»(6)
mais
pour pénétrer dans ces lieux de la création, le passage
ne se fait pas sans quelques difficultés, car pour passer d’un plan à
l’autre, il faut transcender la rupture d’un lieu physique comme d’un lieu mental.
à la limite même de l’entre-deux, apparaît le seuil, threshold,
là où georgiana perd et recouvre successivement la conscience.
l’idée de dimension à part, ou de transgression de la réalité,
est donnée progressivement au travers des mots comme : part, apartements,
imparted où il y a une même particule de sens qui se répète
et qui est part. cette division étant renforcée par la
présence du mot threshold, le seuil.
la
rupture de l’homogénéité de l’espace est marquée
dans le récit par ce threshold, élément qui comporte
par ailleurs toute une symbolique des plus riches, car la porte, ou seuil, est
la limite même d’un plan s’ouvrant sur une autre dimension. en transcendant
le seuil, l’on pénètre non seulement dans le laboratoire de l’alchimiste,
mais également dans la dimension du lieu sacré. cette solution
de continuité de l’espace a depuis la nuit des temps intéressé
l’homme religieux, car le seuil et la porte apparaissent comme les symboles
et les véhicules du passage.
le
laboratoire de l’alchimiste, comme tout lieu enfermant des secrets, des mystères
et des richesses, possède son gardien, qui est ici incarné par
aminadab. en effet, il ne quitte jamais les lieux, car il tient le rôle
de gardien du seuil à la manière du dragon dans la légende
de la toison d’or ou du serpent dans celle du jardin des hespérides,
parmi tant d’autres. créature-gardienne qui interdit l’accès aux
intrus néophytes et protège le secret du philosophe, à
savoir la pierre philosophale et l’élixir vitae. ainsi de retour au laboratoire
avec georgiana, voyant le malaise de celle-ci au moment de pénétrer
dans ces lieux internes, aylmer appelle à l’aide son « assistant
» :
«
aminadab ! aminadab ! » shouted aylmer, [...]
« throw open the door of the boudoir, aminadab
», said aylmer, « and burn a pastil. »(*)
(*) « aminadab ! aminadab ! » cria aylmer [...]
« ouvre la porte du boudoir, aminadab », dit aylmer, « et
brûle une pastille. »
l’expression
« throw open » exprime l’idée de faire qu’une ouverture se
fasse soudainement et largement, l’idée de rendre le passage accessible.
le terme « open » veut dire dans son sens immédiat «
ouvrir », mais il peut également être pris dans son acception
de « révéler », de commencer à dire. comme
si en pénétrant dans l’espace intime du philosophe commencerait
l’accès à la révélation du mystère. la parole
initiatrice semblerait, en outre, venir non pas de la bouche d’un homme, en
l’occurence de aylmer, mais de celle d’une femme, car en effet cette ouverture
est dans la syntaxe de la phrase directement mise en relation avec la porte
du boudoir, où deux symboles féminins se trouvent contenus. d’une
part, la porte, et d’autre part, le boudoir qui est un « petit salon de
dame où l’on peut se retirer pour bouder », et par conséquent
l’on peut considérer sémantiquement que le boudoir est en rapport
avec la femme. et si dans le terme « boudoir » il y a également
le sens de faire la moue, c’est-à-dire de fermer les lèvres, la
relation d’ouvrir, open, avec « boudoir » laisse supposer
qu’il s’agirait symboliquement d’ouvrir une bouche féminine pour avoir
accès à la révélation du mystère. selon de
nombreuses traditions de magie, les secrets seraient féminins; l’ouverture
de cette bouche de femme marque le commencement du dire, tout en rendant le
passage accessible vers les secrets. de l’autre côté de cette porte,
il se trouve un lieu fertilisant, comme le sens de la parole révélatrice
est fertilisant à son tour. ainsi, parmi les images qui viennent ici
tisser le sens occulte du passage, il apparaît celle d’une vulve brûlante,
grande ouverte, comme celle d’une femme au moment du coït, image des plus
érotiques exprimée au moyen des termes pastil et burn.
le premier, dans son sens propre est un encens en forme de losange, ce qui
par ailleurs est également un symbole féminin de par sa forme
vulvaire où la dimension érotique se trouve d’autant plus renforcée
par la proximité du deuxième terme : burn.
l’érotisme
ici véhiculé comporte cependant une valeur sacrée. les
nombreux rituels érotico-sacrés païens au cours desquels
il était usuel de brûler de l’encens se trouvent ici en écho.
le parfum ayant fait partie, depuis des temps immémoriaux et au sein
des civilations les plus anciennes, des cérémonies religieuses
en rapport autant avec l’eros qu’avec thanatos. l’ensemble de ces mots : throw
open, door, boudoir, burn et pastil(*)
suggèrerait que la porte des mondes souterrains est désormais
ouverte et que le passage initiatique pour georgiana, l’embryon, vers le ventre
du monde peut maintenant s’effectuer. métaphoriquement, les échanges
entre le ciel et la terre sont possibles à ce moment, c’est-à-dire
entre l’esprit et la matière. ainsi l’on remarquera les nombreuses connotations
présentes avec le mythe tellurique de la création. avec la pénétration
de deux personnages dans le laboratoire, s’effectue la tentative d’entrer dans
les mystères de la nature, ici appelée également la terre
mère, et l’accès à la révélation.
(*) ouvrir, porte, boudoir, brûler et pastille.
symboliquement,
la bouche de la femme est confondue avec sa vulve, car dans un cas comme dans
l’autre, ce sont deux ouvertures donnant accès aux mystères de
la révélation et de la création. par la bouche ouverte
s’exprimant la parole fertilisante dont il est question dans la bible(7).
par la vulve s’effectue le passage aux entrailles de la terre, lieu intra-utérin
et embryonnaire, lieu de gestation et de création, tel l’utérus
de la femme-mère. par la bouche est libérée la parole fertilisante
et créatrice de l’univers et des corps célestes, car elle est
une parole de lumière agissant sur le plan cosmique; tandis que par la
vulve, la création serait d’ordre purement organique, matérielle,
terrestre, ainsi que le suggèrent les mythes qui racontent que la terre-mère
fabrique dans ses entrailles toutes sortes d’embryons végétaux,
animaux et minéraux(8). par conséquent
la vulve serait à l’origine d’une biogonie. dans la marque de naissance,
le corps pénétré symboliquement, n’est pas celui de georgiana,
lequel se tiendrait à la place de l’embryon lui-même, mais celui
de la terre-mère. georgiana se trouve pourtant assimilée à
la terre-mère de par la racine grecque de son prénom : «
géo- », du grec « terre », g h.
mais l’explication de ceci a d’autres raisons que j’explique plus loin.
les
images poétiques de hawthorne relèvent dans leur majorité
d’une imagerie terrestre, souterraine, ainsi dans ce récit cela s’avère
également. le laboratoire s’assimile à une grotte, ou à
quelque endroit sous terre et est d’une configuration labyrinthique. ce rapprochement
se justifie, d’une part, par l’abondante symbolique présente et qui va
dans ce sens, et d’autre part, dans l’étymologie même du mot laboratoire,
laboratory, qui outre le sens contenu de travailler : to labour,
que j’ai déjà commenté, pris dans son acception archaïque
ou poétique, labour renvoie au labourage de la terre. de plus,
ce même terme connote, également, les organes féminins de
procréation dans le sens où il est employé pour «
le travail » lors du processus de l’accouchement. les lieux où
séjournera georgiana sont décrits comme étant : a pavillion
among the clouds(**). l’étymologie du
mot cloud, nuage, est (pour l’anglais) « rocher » ou «
rocaille » (mass of rock or earth), ce qui renvoie inexorablement,
par le biais de l’imagerie symbolique, au mythe tellurique, à l’entrée
de la caverne qui annonce des lieux plus intimes comme les entrailles, voire
l’utérus de la terre-génitrix, et enfin à la terre comme
image primordiale de la créatrice. selon le mythe tellurique d’hésiode,
la terre enfanta le ciel : « terre (gaïa), elle, d’abord enfanta
un être égal à elle-même, capable de la couvrir toute
entière, ciel (ouranos) »(9). à
partir de cette première hiérogamie, il y aura création.
en d’autres termes, ce n’est qu’à partir de l’union des contraires que
la vie peut éclater en cosmo- et biogonies. le boudoir où habite
georgiana semble être un lieu où ces contraires se rejoignent dès
l’instant où l’idée de volatil, d’éthéré,
apparaît avec celle de matière, de rocher ou de rocaille. la première
par le biais de l’étymologie du mot pavillion qui vient du latin
papilio, à savoir le papillon (rappelons le fait que psychée
se trouve présent dans le symbolisme du papillon) et la deuxième
dans l’étymologie de cloud, qui contrairement à toute attente
renvoie à la matière sous sa forme la plus lourde. dans cette
opposition de l’élément volatil et de l’élément
fixe on retrouvera la métaphore de l’esprit et de la matière,
ou, dit autrement, l’union des contraires appelée par nicolas de cuse
coincidencia oppositorum. ainsi dans la démarche de aylmer, l’on
observera la difficulté que celui-ci aura toujours ressentie au cours
de ses longues années de recherche en ce qui concerne la maîtrise
et la connaissance nécessaires de la partie volatile, aérée,
qu’est l’esprit, voire la sphère du spirituel ou de la vie céleste,
afin de mener à bien son œuvre. la connaissance de la matière,
quant à elle, semble acquise. en sorte que par ce glissement du lieu
physique au lieu mental, ou archétypal, s’effectue la pénétration
dans les non-lieux de l’homme intérieur, dans le mental de l’homme millénaire
qui se manifeste chez l’artiste en particulier.
(**) un pavillon au milieu des nuages.
aylmer
en frappant du pied par terre fait surgir aminadab des profondeurs du laboratoire
:
[...]
shouted aylmer, stamping violently on the floor.
forthwith
there issued from an inner apartment a man of low stature,
[...](*)
(*)
[...] cria aylmer, tapant le sol violemment.
immédiatement
il sortit d’un appartement du fond un homme de petite taille, [...]
dans
cette scène, aminadab semble surgir moins des appartements internes que
des profondeurs du sol, car la relation syntaxique immédiate de forthwith,
et de floor, le sol, souligne l’idée de profondeur. ainsi le mot
inner, avec le suffixe -er du superlatif donne l’impression que
aminadab demeure sous terre, au plus loin de la surface.
le
lieu du laboratoire est décrit comme un espace qui semble s’étendre
largement à l’horizontale comme à la verticale, en long et en
large. ce serait donc comme un lieu qui pénètrerait dans la terre
et s’érigerait parmi les nuages. manière poétique de faire
allusion au thème central du récit : le mariage du ciel et de
la terre. l’idée d’un labyrinthe qui se dégage a posteriori
dans
they
were to seclude themselves in the extensive apartments
occupied by aylmer as a laboratory.(**)
(**) ils devraient se retirer dans les vastes appartements
occupés par aylmer en guise de laboratoire.
et
qui est en rapport avec le laboratoire, permet de concevoir ces lieux comme
donnant accès aux entrailles de la terre, au corps d’une mère
géante, car, en effet, l’idée de pluralité contenue dans
le mot apartments au pluriel et qui, d’ailleurs, est d’autant plus accentuée
dans le mot au singulier, désignant d’emblée une pluralité,
a set of rooms, renforcée par l’adjectif extensive, grands,
suggérant l’existence de plusieurs groupes de chambres, décrit
un lieu labyrinthique constitué par des groupes de chambres. le mot extensive
(d’un espace très grand en extension, qui a rapport à son étendue)
ajoute une idée d’expansion au niveau physique comme au niveau abstrait,
ce qui renforce le glissement entre l’espace physique et le mental. cette idée
de labyrinthe revient quelques paragraphes plus loin :
aylmer
had converted those smoky, dingy, sombre rooms [...]
into a series of beautiful apartments(***)
(***) aylmer avait converti les chambres noir-suie, ternes
et sombres [...] en une série de beaux appartements
le
mot series, des séries, ainsi que le pluriel de rooms,
chambres, donne une fois de plus l’idée de pluralité. l’image
serait celle des grappes de chambres reliées entre elles, se rattachant
les unes aux autres à l’infini.
par
ailleurs, dans les représentations que les mythes offrent des grottes
et des cavernes, celles-ci ont l’aspect d’un labyrinthe à partir du moment
où les profondeurs de la terre sont assimilées aux entrailles
de la terre-mère. mircea eliade écrit à ce sujet : «
ce lieu transformé rituellement en labyrinthe était à la
fois le théâtre des initiations et le lieu où l’on enterrait
les morts. »(10) dans la marque de naissance,
le laboratoire est le lieu où aylmer initiera georgiana à ses
secrets, au cours de son intervention sur la marque fatale, et où elle
mourra, suite à cette même intervention. de la symbolique du labyrinthe
en ressortent deux caractéristiques en rapport avec l’investissement
spatial : premièrement, comme lieu d’initiation, et deuxièmement,
comme lieu de funérailles. ces deux aspects sont présents dans
ce récit en rapport avec le laboratoire.
pour
georgiana cette descente implique la réalisation d’un voyage la menant
d’un niveau à l’autre, c’est-à-dire du lieu profane au lieu sacré,
comme de l’état de néophyte à celui d’initié, des
ténèbres à la lumière de la connaissance, et la
difficulté éprouvée par celle-ci, pourrait être interprétée
comme la petite mort initiatrice par laquelle passe le néophyte lorsqu’il
est initié aux mystères. l’idée de mort est présente
dans le texte au moment où georgiana perd connaissance : fainted,
s’évanouit, lifeless form, une forme sans vie, deathlike faintness,
évanouissement ressemblant à la mort. aylmer, par contre, n’éprouve
aucune difficulté dès l’instant où il ne fait que retrouver
sa propre spatialité.
ii. l’alchimiste et son œuvre abortive : aminadab.
a) aylmer l’alchimiste créateur.
les
noms des personnages dans l’œuvre de hawthorne pourraient être considérés
dans l’ensemble tels des emblèmes contenant la problématique que
chacun présente. ainsi le nom aylmer contient un sens de noblesse
associé surtout à l’idée de noblesse d’esprit(11).
en effet, ce personnage est maintes fois décrit par ce même trait
et il est associé à la sphère de la vie spirituelle surtout
lorsqu’il est question de sa création. la thèse défendue
pose la création comme irréalisable par l’homme-créateur
si celui-ci ne possède pas une complémentarité de connaissances
du monde matériel et du monde spirituel, ainsi que la maîtrise
nécessaire sur chacun d’eux. aylmer est arrivé à un état
d’érudition presque totale en ce qui concerne la matière, cependant
la connaissance et la maîtrise du monde spirituel échappe encore
à son entendement, au moment où se déroule l’action. sa
démarche et ses longues années de pratique se voient condamnées
par un échec irréversible à cause de cette difficulté
à accéder à la complète connaissance et maîtrise
de la sphère de la vie spirituelle.
étymologiquement
le concept de noblesse se trouve lié à la connaissance. de même
aylmer est décrit comme ayant de grandes qualités spirituelles,
c’est-à-dire de pensée, d’intellectualisation et d’organisation.
il est doté d’un esprit scientifique, rationnel, calculateur, cependant
ces qualités constituent précisément le barrage qui l’empêche
de pénétrer dans la sphère du monde spirituel et de sa
connaissance. le premier mot qui qualifie aylmer dans le récit est proficient,
ce qui signifie être un expert ou un adepte dans un art donné.
ce mot connoterait la qualité d’alchimiste du personnage, tandis qu’à
aucun moment, au cours de la narration, il n’est qualifié ouvertement
ni d’alchimiste ni d’adepte. par ailleurs, de nombreuses indications implicites
y feront constamment allusion. l’art pratiqué par aylmer pourrait se
définir comme étant l’art royal ou le grand Œuvre. dans le voisinage
immédiat de ce premier terme décrivant et présentant aylmer
tout au début du récit, se trouve en outre, man of science,
homme de science, le précédant, et natural philosophy,
la philosophie naturelle, le suivant. deux qualités qui pourraient se
résumer comme étant, l’une, en rapport avec la connaissance de
la matière, et l’autre, en rapport avec le savoir et l’esprit. elles
constituent de la sorte les deux données de départ de la problématique
du personnage. julius evola dit à ce sujet : « la dénomination
médiévale de ‹philosophie naturelle› exprimait encore la synthèse
de deux éléments qui n’existent aujourd’hui que sur deux plans
séparés, l’un d’intellectualité irréelle (la philosophie),
l’autre de connaissance matérielle (la science) mais, poursuit-il plus
loin, « étant donné le caractère d’unité,
de cosmos, que l’univers présentait pour l’homme traditionnel,
cette connaissance ‹naturelle› contenait une vertu anagogique, c’est-à-dire
le pouvoir d’élever l’esprit à un plan transcendant, métaphysique.
»(12) à travers la pratique de l’alchimie
deux objectifs sont visés : obtenir la transformation en or de la matière
(plan physique) et la réalisation de soi (plan spirituel). dans un cas
comme dans l’autre, le but est d’atteindre l’état de perfection dans
cette correspondance matière-esprit.
aylmer
serait donc un alchimiste qui ne correspond pourtant pas au modèle traditionnel
de l’adepte, lequel attendait l’accomplissement de l’Œuvre au milieu de chants
et de prières adressés à dieu pour qu’il lui vienne en
aide et intervienne favorablement. aylmer a vécu au milieu du xviiième
siècle, précise le narrateur, quoiqu’il se situe dans la lignée
des alchimistes du moyen-âge comme albert le grand, ou ceux de la renaissance
tels que cornelius agrippa et paracelse. aylmer, en tant qu’alchimiste, apparaît
de la sorte loin du modèle décrit par evola, car il est un homme
appartenant au siècle des lumières et à ce titre il est
passionné des découvertes scientifiques, émerveillé
par le savoir objectif et les accomplissements prodigieux d’une technologie
qui commence à pointer à l’horizon (électricité,
photographie, etc.). ainsi sa perception du monde se trouve éclatée
malgré son aspiration vers la philosophie naturelle. pour lui, il y a,
d’une part, le savoir du monde physique qui constitue le domaine de la science,
et d’autre part, il y a le monde spirituel, mais qui se présente à
lui comme étant inaccessible avec le type de savoir qu’il applique, de
sorte qu’un problème se pose à lui à la fois d’ordre philosophique
et d’ordre théologique.
dans
une telle vision de l’univers où la posture est intellectuelle, se trouve
absente cette unique porte qui aboutit à la réalité, à
savoir l’intuition. pour aylmer, l’univers n’est plus comme il apparaissait
aux alchimistes : une unité (univers), mais il est fragmenté
en deux plans, la matière ou monde matériel régi par des
lois ayant des causes et des effets, et qui ne peut être perçu
comme une totalité parce qu’il est trop apparent; d’autre part le monde
spirituel qui pourtant lui échappe. cependant, aylmer apparaît
comme un être conscient depuis toujours de l’existence de cet autre plan
invisible, où les choses semblent prendre racine, naître en quelque
sorte de cet ailleurs, mais pour lui, la sphère du monde spirituel constitue
un lieu difficile sinon impossible à pénétrer. pourtant
celle des deux sphères qui donne le rythme de respiration à la
matière et qui la fait palpiter et se mouvoir dans l’imperceptible de
nos sens tout en se tenant au cœur-centre du magma planétaire, c’est
le monde spirituel. lieu qui est le seuil et qui est l’entre-deux mondes.
the
book, in truth, was both the history and emblem of his
ardent, ambitious, imaginative yet practical and laborious
life. he handled physical details as if there were nothing
beyond them; yet spiritualized them all, and redeemed
himself by his strong and eager aspiration towards the
infinite. in his grasp the veriest clod of earth assumed
a soul.(*)
(*) le livre, en vérité, était en même
temps l’histoire et l’emblème de sa vie passionnée, ambitieuse,
imaginative, bien que pratique et laborieuse. il avait manipulé des détails
physiques comme s’il n’y avait rien au-dessus d’eux; cependant il les avait
spiritualisés et s’était racheté lui-même du matérialisme
par sa forte et ardente aspiration vers l’infini. dans son poing la moindre
parcelle de terre avait assumé une âme.
aylmer
ne fait pas preuve de religiosité tels les alchimistes traditionnels.
il est de ces hommes qui possèdent un degré de lucidité
qui rend la vie si difficile à accepter telle qu’elle se présente.
un homme en quête de perfection, révolté contre les lois
naturelles qui régissent l’homme et sa matière. dans sa démarche,
il y a une remise en cause radicale de cette création et de son créateur;
et dans sa tentative de faire de l’homme un être parfait, aylmer ne dispose
que de son unique savoir : sa science.
dans
une pensée théiste, l’homme croyant ne peut pas contester la création
et dire qu’elle est imparfaite. la question ne se pose même pas, car si
par définition la création est l’Œuvre de dieu, l’être parfait,
elle est par conséquent parfaite. pour l’homme traditionnel la création
est la manifestation de la sacralité : une hiérophanie. le création
à tous les niveaux cosmiques présupposerait l’intervention d’une
puissance sacrée. dans la pensée contestataire de aylmer, qui
d’ailleurs apparaît comme le reflet de celle des romantiques, la création
est l’affaire de la nature déifiée, mais elle demeure, toutefois,
imparfaite. de cette création, l’homme fait partie également,
mais avec la différence qu’il possède, contrairement aux autres
espèces, cette partie immatérielle qui est l’esprit. il peut grâce
à elle intervenir avec l’aide de la connaissance dans l’évolution
de la nature. ce qui revient à dire que le philosophe de la nature peut
accélérer le développement embryonnaire des différentes
formes de vie vers son point culminant, à savoir l’état de perfection,
ou en langage alchimiste : l’or. l’alchimiste agirait en tant que rédempteur
de la nature, et aylmer concevrait son travail dans ces termes.
ce
personnage place le lecteur devant l’énigme du monde spirituel, du créateur
et de sa création, de l’organisation de celle-ci ainsi que de sa cosmogonie.
y aurait-il une entité toute puissante qui agirait en tant que créateur
et préservateur de son Œuvre ? ou, est-ce que la matière ne s’organiserait-elle
pas d’elle-même ? f.w. schelling, qui est qualifié par jean-christophe
bailly de « philosophe romantique par excellence »(13),
écrit à ce sujet : « l’esprit, on en était venu à
admettre que l’esprit et la matière étaient, depuis toujours,
indissolublement unis dans ces choses. »(14)
hawthorne s’interroge sur le phénomène de la création.
la nature est présentée comme une intelligence supérieure
à toute autre, car il dit qu’elle posède les deux formes de la
connaissance : celle du monde matériel et celle de la sphère du
spirituel, et que ce n’est que par cette complémentarité de savoirs
qu’elle crée et qu’elle est la création. f.w. schelling écrit
: « la nature n’est pas seulement le produit d’une création incompréhensible
: elle est la création elle-même; elle n’est pas seulement la manifestation
ou la révélation de l’éternel; elle est l’éternel
même. »(15)
dans
ce récit, la nature est personnifiée et hawthorne lui attribue,
par l’intermédiaire du narrateur, le sexe féminin et la qualité
d’être mère. forme mythique, païenne et archétypale
donnée à la nature par les civilisations archaïques à
caractère matriarcal :
[aylmer]
attempted to fathom the very process by which nature
assimilates all her precious influences from earth and
air, and from the spiritual world, to create and foster
man, her masterpiece. [...] our great creative mother,
while she amuses us with apparently working in the broadest
sunshine, is yet severely careful to keep her own secrets,
and, in spite of her pretended openness, shows us nothing
but results. she permits us, indeed, to mar, but seldom
to mend, and, like a jealous patentee, on no account
to make.(*)
(*)
[aylmer]
avait tenté d’appréhender les procédés eux-mêmes
par lesquels la nature assimile de la terre et de l’air, et du monde spirituel
toutes ses influences précieuses, pour créer et nourrir l’homme,
son chef-d’œuvre. [...] notre souveraine mère créatrice, tandis
qu’elle nous amuse avec du travail fait apparemment en plein jour, ne fait cependant
pas moins attention pour préserver rigoureusement ses propres secrets,
et, en dépit de sa prétendue ouverture, ne nous montre rien que
des résultats. elle nous permet, en vérité, de détruire,
mais rarement de réparer, et, telle une patentée jalouse, ne nous
permet sous aucune circonstance de faire.
great creative mother est un concept païen où
nature et déité se confondent, et il apparaît comme une
tentative de retour, de la part de hawthorne, vers des concepts archaïques
des divinités issues de religions de l’antiquité. est-ce pour
ne pas s’attaquer directement à dieu devant le regard du lecteur protestant
? ou, est-ce parce que, dans sa démarche, il avait effectivement fait
retour vers ces formes païennes, les réactualisant comme le firent
les romantiques d’une manière générale ? en tout cas, le
personnage, aylmer, critique cete intelligence créatrice du fait qu’il
considère que toute sa création ne serait qu’une œuvre imparfaite.
divinité qui serait incapable de réaliser homme ou femme qui ne
soit pas tenu à sa loi cyclique définie par le péché,
la décadence, la souffrance et la mort :
the
crimson hand expressed the ineluctable grip in which
mortality clutches the highest and purest of earthily
mould, degrading them into kindred with the lowest,
and even with the very brutes, like whom their visible
frames return to dust. in this manner, selecting it
as the symbol of his wife’s liability to sin, sorrow,
decay, and death.(**)
(**) la main rouge exprimait la prise inévitable dans
laquelle la mortalité saisit les plus hauts et les plus purs des moules
terrestres, les dégradant vers le plus bas de l’espèce et même
celui des brutes, dont les carcasses visibles de ces dernières retournent
à la poussière. de cette manière, il la choisit comme le
symbole de l’assujettissement de sa femme au péché, à la
souffrance, au déclin, et à la mort.
ces quatre termes semblent faire référence aux quatre âges
de l’homme : sin, le péché, correspondrait de la sorte
à la naissance, et à l’enfance, marquée par le péché
originel; sorrow, la souffrance, serait en rapport avec l’apogée
ou la jeunesse; decay, le déclin, avec l’âge mûr et
au déclin de la vie, cycle qui s’achèverait avec la vieillesse
et avec le troisième terme : death, la mort. l’homme qui est constitué,
en partie, de matière, est tenu par son corps au cycle des âges,
qui est la loi irréversible de la nature. l’homme est par conséquent
voué à vieillir, à souffrir et à mourir. corriger
cette création ou changer la loi qui la régit, reviendrait à
créer un être parfait, né sans tache, sans péché,
en somme, sans cette marque de naissance qui est le signe qui rend manifeste
que l’homme fait partie de la création de la nature, et qu’il répond
à sa loi fatale du cycle infernal, ou karmique penseront certains, du
péché, de la souffrance, du déclin et de la mort. l’être
nouveau rêvé par l’alchimiste serait un être qui ne connaîtrait
ni la souffrance du corps ni celle de l’esprit, quelqu’un qui possèderait
un corps éternel et inaltérable par l’effet de la maladie ou du
vieillissement. ce serait un être céleste, un être, en somme,
dépourvu de matière. le rêve de l’alchimiste serait de faire
de l’homme un ange ou un dieu.
aylmer
poursuit avant tout un but : posséder la clef de la connaissance absolue,
laquelle lui permettrait l’accès aux mystères de la nature et,
par ce biais, à la création afin de dépasser, voire de
dominer, cette intelligence toute puissante qui est la nature. il serait lui-même
démiurge. selon evola l’Œuvre peut mener l’alchimiste jusqu’à
réaliser ce but : « par les différentes phases de la réalisation
hermétique on connaîtrait donc les phases de la création
: l’expérience ésotérique donnerait la clef de la cosmogonie
et vice-versa. »(16) une fois obtenu ce savoir,
l’alchimiste corrigerait ce que la nature réalise imparfaitement, de
sorte qu’il pourrait, enfin, créer des mondes nouveaux pour lui-même
:
unitl
the philosopher should lay his hand on the secret of
creative force and perhaps make new worlds for himself.(***)
(***) jusqu’à ce que le philosophe puisse mettre la
main sur le secret de la force créatrice et fasse peut-être des
mondes nouveaux pour lui-même.
vision
romantique que de vouloir rendre l’homme heureux en lui rendant sa dignité
d’être; lui la créature faite à l’image de son créateur,
et ceci en le transplantant dans son espace et sa condition édénique
des origines. mais, vision également biblique, car le bonheur parfait
d’avant la chute est situé, selon la bible, aux sources originelles elles-mêmes.
aylmer semble s’être laisser tenter par cet acte divin de la création
d’un être, et ceci à une période reculée de son existence,
pendant sa jeunesse, époque où, tel les alchimistes de la plus
haute tradition, il vivait enfermé dans son laboratoire. il aurait tenté
alors sa première expérience pour remodeler l’homme.
b) aminadab la créature.
aminadab
apparaît tel un nom rébus à lire à l’envers. en le
décodant, il permet de comprendre la problématique que pose ce
personnage. il y aurait deux significations possibles pour ce nom(17)
: en premier lieu, aminadab, lu à l’envers, donne badanima, nom composé
de deux mots : bad et anima. en prenant le mot anglais bad dans sa traduction
latine, l’on trouve trois possibilités : malus. male. malum. le premier,
malus, signifie « mauvais » dans le sens funeste, mortel. le deuxième,
male, se réfère à une manière contraire à
l’intérêt ou aux vœux de quelqu’un; en termes ou d’une façon
défavorable; autrement qu’il ne convient; de façon contraire à
un modèle idéal, dans le sens d’un travail mal fait; d’une façon
anormale; d’une manière défectueuse, imparfaite, et contrairement
à une loi supérieure. le troisième, enfin, malum, désigne
ce qui cause de la douleur, de la peine, du malheur(18).
la traduction la plus significative pour bad, parmi ces trois possibilités,
est male, dès l’instant où les définitions de sens données
correspondent aux éléments de la problématique posée
par ce personnage. mais avant de développer ce point, voici la deuxième
signification possible pour ce nom.
ainsi,
en deuxième lieu, si l’on remplace ces deux mots qui constituent le nom
d’aminadab, à savoir bad et anima par les deux mots en latin tout en
préservant l’ordre donné par hawthorne, l’on obtient : anima male.
de ces deux mots, le premier veut dire en latin « souffle de vie »,
mais d’après le qualificatif male, qui comme on vient de le voir signifie
que ce souffle est autrement qu’il ne convient, fait d’une façon défavorable(19),
on peut déduire que aminadab n’a pas été engendré
selon le processus naturel, à savoir par la gestation dans le ventre
d’une femme, mais qu’il est un être de laboratoire, créé
par aylmer :
in
the extensive apartments occupied by aylmer as a laboratory,
and where, during his toilsome youth, he had made discoveries
in the elemental powers of nature, [...] here, too,
at an earlier period, he had studied the wonders of
the human frame and attempted to fathom the very process
by which nature assimilates all her precious influences
from earth and air, and from the spiritual world, to
create and foster man, her master piece.(*)
(*) dans les vastes appartements occupés par aylmer
en guise de laboratoire, et où, durant les années d’une jeunesse
laborieuse, il avait fait des découvertes sur les pouvoirs élémentaires
de la nature [...] ici, aussi, à une époque antérieure,
il avait étudié les merveilles de la charpente humaine, et avait
tenté d’appréhender les procédés par lesquels la
nature assimile de la terre et de l’air, et du monde spirituel toutes ses influences
précieuses, pour créer et nourrir l’homme, son chef-d’œuvre.
dans
cette citation apparaissent les indications spatio-temporelles permettant de
situer cette création : at an earlier period, à une époque
antérieure, et here, ici, ayant comme référant,
plus haut dans le même paragraphe, in aylmer’s laboratory, dans
le laboratoire de aylmer. le philosophe de la nature qu’est aylmer avait alors
essayé d’imiter le processus par lequel la nature crée l’homme.
sa tentative pour fathom the very process [...] to create and foster
man, appréhender les procédés eux-mêmes [...]
pour créer et nourrir l’homme, aboutit sur la création d’aminadab.
cependant
aylmer ne considère pas aminadab comme une œuvre réussie, car
elle est défectueuse et imparfaite. en d’autres termes,
cette créature serait du travail mal fait, de façon
contraire au modèle idéal. on peut se demander si ce n’est
pas aylmer son créateur, car des composantes identiques se retrouvent
chez les deux personnages, comme si le créateur aylmer, en créant
aminadab, sa créature, s’était impliqué plus qu’intellectuellement,
en sorte qu’il est possible de voir dans la répétition de la lettre
initiale « a », par laquelle commencent leurs deux prénoms,
une allusion à ceci. l’un figurant l’anima noble et l’autre l’anima mauvaise
respectivement; l’un dans sa composante positive et l’autre négative
:
with
his vast strength, his shaggy hair, his smoky aspect,
and the indescribable earthiness that incrusted him,
he seemed to represent man’s physical nature; while
aylmer’s slender figure, and pale intelectual face,
were no less apt a type of the spiritual element.(*)
(*) avec sa vaste force, ses cheveux hirsutes, son aspect noir-suie,
et sa contexture de terre indescriptible qui l’encroûtait, il semblait
représenter la nature physique de l’homme; tandis que la silhouette fine
de aylmer, et le visage intellectuel, n’étaient pas moins propres du
type de l’élément spirituel.
de
cette façon, l’opposition apparaît dans ce passage entre aminadab
représentant la nature physique de l’homme, c’est-à-dire l’aspect
terrestre dans le sens matériel du corps, et aylmer représentant
l’élément spirituel de l’homme. mis à part le fait d’être
deux personnages de l’histoire, l’un et l’autre apparaissent comme des représentations
symboliques de deux idées abstraites faisant partie intégrante
de l’allégorie contenue dans ce récit.
en
outre, les descriptions concernant aminadab développent cette caractéristique
terrestre et confirment l’interprétation de son nom, à savoir
celle qui verrait en lui le résultat d’une œuvre imparfaite, servant
d’aide ou, comme il est qualifié par le narrateur, d’« assistant
». ce qui, par ailleurs, rappelle la présence usuelle, autant dans
l’iconographie que dans les textes des alchimistes, de l’assistant de l’artiste
assumant dans le laboratoire le travail pénible et musculaire. ainsi,
aminadab vit dans la nuit, à l’écart de la lumière du jour,
dans les profondeurs labyrinthiques du laboratoire. ce qui rappelle, d’une certaine
manière, le mythe du dieu forgeron héphaïstos, chez les grecs,
ou de vulcain chez les romains : maîtres des arts et du feu, régnant
sur les volcans qui sont ses ateliers. héphaïstos, tout comme aminadab,
est très laid physiquement, infirme et boiteux, et révélant
une faiblesse spirituelle. de l’imagerie archétypale alchimique, le forgeron
a servi de modèle pour aminadab, alors que l’alchimiste a servi pour
aylmer.
dans
le personnage d’aminadab, il y a quelque chose appartenant à l’espèce
animale qui le caractérise, ce qui est également présent
dans les deux parties qui composent le nom d’aminadab : anima et male, lesquelles
en les rattachant, et en enlevant la syllabe répétitive ma du
milieu, révèlent cette même caractéristique du personnage,
et qui est celle d’être un animal. ainsi le narrateur décrit la
voix du personnage en question comme celle d’une brute et non pas celle d’un
être humain. or, il n’y a rien de plus humain que la voix.
aminadab,
whose harsh, uncouth, misshapen tones were audible in
response more like the grunt or growl of a brute than
human speech [...].(**)
(**) aminadab, dont les tons durs,rudes et distordus, plus
semblables au grognement ou au grommellement d’une brute qu’à du langage
humain[...].
grunt,
le grognement, qualifie les sons produits par les porcs; figurativement il exprime
le mé-contentement, la fatigue. growl, le grondement, est un son
guttural qui évoque l’ours; figurativement il traduit la colère,
la plainte.
or,
si l’on se pose la question pourquoi aminadab serait un être imparfait,
l’on verra que selon la thèse impliquée dans le récit,
la réponse est parce que l’élément divin, spirituel, est
absent. le journal de aylmer révèle que pendant que l’expérience
de création de aminadab eut lieu, aylmer ne parvint pas à joindre
à la matière qu’il façonnait le côté spirituel
:
the
volume, rich with achivements that had won renown for
its author, was yet as melancholy a record as ever mortal
hand had penned. it was the sad confession and continual
exemplification of the short comings of the composite
man, the spirit burdened with clay and working in matter,
and of the despair that assails the higher nature at
finding itself so miserably thwarted by the earthly
part.(***)
(***) le volume, riche en parachèvements ayant valu
de la reconnaissance à son auteur, était toutefois un recueil
aussi mélancolique que jamais main mortelle n’avait écrit. c’était
la triste confession, avec le continuel apport d’exemples des déficiences
de l’homme composite : l’esprit chargé de boue, et travaillant dans la
matière; du désespoir qui assaille la plus haute nature en se
trouvant si misérablement frustré par la partie terrestre.
cette
problématique de créer un homme à partir du savoir scientifique,
sans l’intervention divine, est un problème appartenant à la pensée
romantique. dans la littérature anglaise, le roman de mary shelley, frankenstein,
publié en 1818, constitue l’un des exemples les plus marquants.
iii. georgiana, l’œuvre royale ou la re-création du
monde.
le
prénom georgiana dérive du prénom masculin georges,
lequel signifie « fermier »(20). en
constatant que l’étymologie de farmer, le fermier, est firm,
la signature, on comprend pourquoi georgiana apparaît comme « signée
» sur la joue gauche par la marque de naissance qu’elle porte, telle une
œuvre d’art signée par l’artiste. on interprète aussi ce prénom
par « le laboureur de la terre ». autant dans l’une comme dans l’autre
définition, se répète l’idée de labourer, de cultiver
et de préparer la terre pour faire une culture. l’étroite relation
qui progressivement va s’établir, à mesure que la narration avance,
entre georgiana et la terre, est d’emblée présente dans la racine
grecque de son prénom « géo- », du grec « terre
», g h. tout comme aminadab, mais pour des
raisons différentes, georgiana fonctionne par opposition à son
contraire et partenaire : aylmer. dans l’idée de « laboureur de
la terre » se trouve impliquée la personne même du laboureur
et qui dans le texte serait aylmer, alors que la « terre » serait
georgiana. en tant que symboles, ces deux personnages vont s’étendre,
par jeu d’opposition, jusqu’à devenir la représentation des mythes
les plus anciens et les plus universels. ainsi par rapport à la terre-georgiana
aylmer serait le ciel, et leur mariage serait celui du ciel et de la terre,
ou l’union des contraires.
si
hawthorne a choisi de faire appel aux mythes primordiaux, cela peut s’expliquer
par le fait que le mythe a été depuis les civilisations les plus
anciennes, une tentative pour expliquer ce qui s’est passé in illo
tempore, c’est-à-dire la reconstitution de l’histoire primordiale
de l’homme, et celle de la création. dans ce récit il est justement
question du mystère des origines.
a) le mythe tellurique de la création.
la
terre considérée comme un symbole apparaît tantôt
en opposition tantôt en relation de complémentarité par
rapport au ciel. dans cette constatation se trouve contenue la problématique
de ce récit. en d’autres termes il s’agit de l’opposition, ou de la relation
de complémentarité entre le monde ou l’élément matériel
et le monde ou l’élément spirituel. hawthorne emploie le symbole
terre pour représenter ce qui est matériel et le symbole ciel
pour représenter le principe spirituel :
matter
and spirit — earth and heaven — have both done their
part in this !(*)
(*) matière et esprit — terre et ciel — ont tous les
deux joué leur part en ceci !
de
même que earth, terre, earthiness, qui a un aspect de terre,
physical, physique (adj.), physics, la physique (nom), materialism,
le matérialisme, clay, l’argile, earthly, terrien (adv.),
mortal, mortel, constituent une chaîne sémantique se référant,
dans ce récit, à l’élément matériel. les
uns et les autres sont employés comme des synonymes. pour l’élément
spirituel seront employés les mots : heaven, le ciel, spiritual,
spirituel, spiritualized, spiritualisé, soul, l’âme,
spirit, l’esprit, immortal, immortel, celestial, céleste
(adj.). lorsqu’il s’agit de création, l’union des contraires est indispensable
:
nature assimilates all her precious
influences from earth and air, and from the spiritual
world, to create and foster man, her masterpiece.(**)
(**)
la nature assimile de la terre et de l’air, et du monde spirituel toutes ses
influences précieuses, pour créer et nourrir l’homme, son chef-d’œuvre.
julius
evola écrit à ce sujet : « l’idée base est que la
création ou manifestation se réalise au moyen d’une duplicité
comprise dans l’unité suprême, de même que la génération
animale se produit par l’union du mâle et de la femelle. »(21)
par ailleurs, dans le système philosophique de aylmer, l’un de ces éléments
trouve son double dans l’autre : aylmer en tant que symbole de l’élément
spirituel serait le double de amibadab, symbole terrestre. quant à georgiana,
elle serait le symbole du commun des mortels, ayant un corps imparfait et une
âme :
my
earthly senses are closing over my spirit [...].(*)
(*) mes sens terrestres se referment sur mon esprit[...].
cette
première opposition terre/ciel devient par extension l’opposition du
principe passif et du principe actif, soit de la terre et du ciel. le premier
élément étant identifié au principe féminin
et le second au principe masculin. dans ce récit, georgiana représente
le principe passif parce qu’elle est une femme; de même que aylmer représente
le principe actif parce qu’il est un homme. d’après aristote, «
le mâle représente la forme spécifique, la femme la matière.
en tant que femme, elle est passive, tandis que le mâle est actif. »(22)
en d’autres termes on peut désigner cette opposition, ou plutôt
cette dualité, la diade ciel/terre, comme étant la polarité
du principe ouranien et du principe tellurique, images cosmico-symboliques de
l’éternel masculin et de l’éternel féminin.
si
l’on choisit de les symboliser, on représentera le principe féminin
par une posture horizontale du corps : position couchée par exemple,
et le principe masculin par une posture verticale, tel le phallus en érection.
georgiana se trouve par trois fois en position couchée. premièrement
quand elle s’évanouit sur le seuil du laboratoire en entrant. cet évanouissement
qui par ailleurs caractérise également sa passivité, commence
à ce même instant et ne changera pas jusqu’à la fin du récit.
aylmer, quant à lui, se trouve debout. deuxièmement, quand elle
reprend connaissance, après s’être évanouie dans le boudoir;
aylmer est alors à genoux à ses côtés. troisièmement,
à la fin du récit, après avoir avalé la potion que
son mari lui a donnée, elle s’endort. on peut supposer qu’à nouveau
elle est en position couchée, tandis que aylmer est assis auprès
d’elle.
la
passivité de georgiana est dénotée également par
l’acception de toutes les épreuves et expériences que aylmer lui
fait subir. elle se trouve en position d’objet, du point de vue relationnel
: telle la terre labourée par le sujet mâle et agissant qu’est
le laboureur, à savoir aylmer. l’activité de aylmer se caractérise
par le déplacement aller-retour qu’il effectue entre le laboratoire et
le monde extérieur ou son va-et-vient dans les diverses pièces
du laboratoire. il est le seul personnage à se déplacer dans l’espace
constamment, et le seul personnage actif intellectuellement. aminadab répond
aux ordres du maître, georgiana subit les expériences du philosophe.
en
résumant les éléments qui sont en rapport avec l’opposition
terre/ciel l’on obtient, pour georgiana, la terre, la chaîne sémantique
suivante : terre, matière, mortalité, corps physique, principe
passif et aspect féminin. tandis que pour aylmer, le ciel, l’on retrouvera
: ciel, élément spirituel, immortalité, intellect, principe
actif, aspect masculin.
georgiana
est, en effet, la représentation du principe féminin, cependant
il reste encore à définir de quel aspect de ce concept elle est
le symbole, car il y a deux types différents du principe féminin.
l’un étant l’image archétypale de la femme amante et l’autre l’image
archétypale de la femme mère. la première est désignée
dans la philosophie grecque comme le type aphrodisien et la seconde comme le
type démétrien.(23)
georgiana
ne présente aucun trait de la femme mère ou femme fertile, donc
ne correspondant pas à l’archétype démétrien voyons
en quoi elle s’apparenterait au type aphrodisien. l’un des traits les plus nets
réside dans son amour tendre et aveugle pour son époux. pour elle,
l’amour que aylmer lui porte émanerait de la sphère du sacré
: holy love, dira-t-elle. ce terme donne une toute autre dimension à
leur relation. elle apparaît sous un jour de victime dévote dans
la foi et dans l’amour qu’elle voue à aylmer, et celui-ci se montre telle
une déité sanglante demandant des sacrifices humains :
«
i submit, » replied she calmly. « and, aylmer,
i shall quaff whatever draught you bring me; but it
will be in the same principle that would induce me to
take a dose of poison if offered by your hand. »(**)
(**)
«
je me soumets », répondit-elle calmement. » «
et aylmer, j’avalerai n’importe quel breuvage que vous m’amènerez; mais
ce sera sur le même principe qui me conduirait à prendre une dose
de poison si c’est votre main qui me l’offre. »
car
effectivement dans cette scène georgiana fait penser à la victime
humaine lors des rites sacrés où l’on immolait une vierge afin
d’avoir accès à la création ou procréation.
d’après
de nombreux rites répertoriés auprès des civilisations
les plus diverses, on a pu se rendre compte que sans la victime humaine immolée,
la création ne pouvait pas être assumée.
par
ailleurs, l’archétype démétrien est bien présent
lui aussi dans ce récit, mais il est à mettre en rapport avec
l’entité symbolique de la terre-mère. elle seulement est créatrice
et reproductrice, et, enfin, fertile, car elle seulement produit de la matière
organique et vivante. à noter qu’elle peut également être
appelée la terre genitrix, à savoir celle qui engendre.
nombre de mythes donnent à cette image symbolique la qualité de
créatrice des hommes, des végétaux et des minéraux.
on lui attribue également une matrice souterraine où les différents
embryons seraient en gestation. en 1819, le révérend john heckenwelder,
historien et religieux protestant nord-américain, rapportait un mythe
amérindien, que possiblement hawthorne connaissait, selon lequel les
premiers hommes vécurent dans les entrailles de la terre où ils
menaient une vie à moitié humaine, car ils étaient, paraît-il,
en quelque sorte des embryons encore imparfaitement formés. l’imperfection
de aminadab pourrait s’expliquer au travers de ce mythe. aminadab, qui de plus
reste dans les souterrains du laboratoire, comme s’il était encore un
embryon, un être dans un état non accompli.
l’union
du couple aylmer/georgiana apparaît symboliquement comme une hiérogamie,
un mariage sacré. le but d’une telle union est de réaliser la
création. la hiérogamie est considérée comme étant
par elle-même un acte de création à la fois de l’univers
et de la vie, tel le mythe du mariage du ciel et de la terre, lequel rapporte
que cette union donna naissance à tout ce qui existe : le cosmos, les
dieux, la vie. le mariage de aylmer et de georgiana se présente également
telle une hiérogamie, cependant leur union demeure stérile parce
que l’élément spirituel se trouve absent. quand aylmer, personnage
masculin, créa la vie pour la première fois, il obtint un résultat
imparfait : en effet, aminadab, malgré qu’il soit vivant, sera décrit
tel un être imparfait, demeurant à l’état animal. par contre
la terre-mère, entité féminine, peut créer toutes
les formes de vies. hawthorne semble suggérer par là que la création
d’un être vivant ne peut être assumée que lorsque le principe
féminin se trouve présent, car d’après les mythes évoqués
l’on constate que la création ne peut jamais être produite par
le principe masculin uniquement. quant au cas d’une hiérogamie, la création
se fait par l’union des contraires. on peut ainsi conclure que la création
ne serait possible que s’il y a le principe féminin associé à
l’influence spirituelle en relation avec l’œuvre. par ailleurs, mircea eliade
fait la même constatation en étudiant les mythes cosmogoniques.
il dira à ce sujet : «
il est question aussi bien de la hiérogamie ciel-terre que de la création
effectuée uniquement par la terre-mère. »(24)
dans
la création de aylmer, il n’y a pas la complémentarité
du savoir spirituel et du savoir matériel que possède la terre-mère.
il se pourrait que ce soit dans le but d’atteindre lui-même cette complémentarité
d’éléments que aylmer ait décidé de se marier, et
après avoir tenté la création tout seul, il procède
par l’expérience de la deuxième possibilité, à savoir
celle de la hiérogamie donnant accès à la création
par l’union des contraires.
b) l’initiation de georgiana.
dans
ce récit, l’initiation concerne moins le passage de l’adolescence à
la maturité comme c’est le cas dans certaines sociétés
traditionnelles où le néophyte est introduit, à cette occasion,
aux fonctions de son système social, que le passage d’un état
d’immaturité spirituelle vers un état supérieur. effectivement,
l’initiation de georgiana dont aylmer est l’initiateur, peut être considérée
comme étant une initiation métaphysique. avec cet objectif, elle
sera soumise à toute une série de rituels et d’épreuves
allant de la perte de la conscience à des états seconds, passant
de la mort à la résurrection dans une nouvelle condition d’existence.
cette mort initiatrice, appelée aussi « petite mort », ne
correspond pas à l’arrêt des fonctions organiques vitales, mais
à l’éveil à la conscience de la mort. dans de nombreuses
traditions mystiques, le chaman ou l’initiateur guide le sujet dans une régression
vers le stade prénatal afin de se rendre contemporain du jour de la création.
de même que dans ce récit, aylmer tentera de faire renaître
georgiana à un niveau spirituel et physique de perfection. symboliquement
on peut considérer qu’elle remonte dans le temps mythique afin de revivre
le jour « un » de la création. la mort de georgiana, qui
a lieu à la fin du récit, peut être interprétée
comme l’épreuve finale des cérémonies et des rites initiatiques
aboutissant à la résurrection, c’est-à-dire à une
naissance symbolique dans un état nouveau d’existence.
les
différentes étapes de l’initiation de georgiana décrites
dans ce conte correspondent parfaitement aux traits caractéristiques
et communs à la majorité des cérémonies d’initiation
secrètes répertoriées par mircea eliade, à savoir
:
«
1. le mystère débute, partout, avec la séparation du néophyte
d’avec sa famille et une retraite dans la brousse[...]
2.
en mainte région, il existe dans la brousse une cabane initiatique. c’est
là que les jeunes candidats subissent une partie de leurs épreuves
et sont instruits dans les traditions secrètes[...]
3.
« [...] des opérations spécifiques (corporelles) [sont effectuées
sur le candidat] »(25). ainsi la première
étape de l’initiation de georgiana consiste à la séparer
de son milieu habituel et à l’emmener dans le laboratoire :
they
were to seclude themselves in the extensive apartments
occupied by aylmer as a laboratory [...].(*)
(*) ils devraient se retirer dans les vastes appartements occupés
par aylmer en guise de laboratoire [...].
ce
départ correspondrait au voyage qu’entreprend le néophyte lors
du début de son initiation. le laboratoire serait le lieu éloigné
et secret des initiations, lieu effrayant pour le non initié. de sorte
que georgiana s’évanouit au moment d’y pénétrer, après
une violente réaction émotive se traduisant par une somatisation
comportant la chute de la température du corps, un tremblement des membres
et la perte de la conscience :
as
he led her over the threshold of the laboratory, georgiana
was cold and tremulous. [...]. his wife fainted.(**)
(**) en la conduisant à travers le seuil du laboratoire,
georgiana était froide et tremblante. [...] son épouse s’évanouit.
cet
état préfigure la mort du néophyte et annonce sa renaissance
dans un état spirituel de perfection. en même temps la peur de
la mort ressentie par georgiana est présente et s’inscrit dans une série
de mots tels que : cold, froide, connotant la mort, voire même
l’état de cadavre; tremulous, tremblante, qui provient étymologiquement
de tremble, trembler, et que l’on pourrait interpréter par trembler
de peur, être effrayé. pour georgiana il s’agit d’être effrayée
par la peur de mourir. fainted, évanouie, quant à lui correspondrait
à la représentation de l’état de mort qu’évoque
une personne au moment où elle est évanouie.
dans
les ténèbres produites par son évanouissement, georgiana
effectue le passage du niveau profane (le lieu extérieur au laboratoire)
à l’espace sacré (le monde de l’intérieur), tout comme
dans le mystère de l’initiation, le symbolisme des ténèbres
vécu au moment de l’entrée dans les lieux où la retraite
du candidat se fera, apparaît comme très important car symboliquement
cela représente l’entrée dans le monde embryonnaire de l’existence,
aussi bien sur le plan cosmique que sur le plan de la vie humaine. le laboratoire
de aylmer trouve de la sorte bel et bien sa correspondance avec le monde intra-utérin
de la terre-mère, comme précisé antérieurement dans
la première partie de la présente étude. le boudoir correspondrait
au ventre maternel, à l’utérus, là où loge l’embryon,
à savoir georgiana, car elle est traitée en tant que tel dans
cette pièce agencée spécialement par aylmer pour l’accueillir
pendant le traitement. là elle subira diverses épreuves, tout
comme le candidat d’une société traditionnelle, par exemple être
soumise à un certain conditionnement provoqué par l’isolation,
l’alimentation, la température ambiante, l’éclairage et des fumigations,
etc. :
in
his interviews with georgiana, aylmer generally made
minute inquiries as to her sensations and whether the
confinement of the rooms and the temperature of the
atmosphere agreed with her. [...] georgiana begun to
conjecture that she was already subjected to certain
physical influences, either breathed in with the fragrant
air or taken with her food.(***)
(***) pendant ses entretiens avec georgiana, généralement
aylmer faisait de petites enquêtes concernant ses sensations et si la
réclusion des chambres et la température de l’atmosphère
lui convenaient. [...] georgiana commença à conjecturer qu’elle
était d'ores et déjà sujette à certaines influences
physiques, soient inhalées dans l’air parfumé ou prises avec sa
nourriture.
ce
conditionnement aboutira à sa mort pour ensuite avoir accès à
une nouvelle naissance en accord avec le cycle de la gestation. mais auparavant
son instruction dans les traditions secrètes doit avoir lieu. par conséquent,
aylmer choisira de s’entretenir avec georgiana au sujet de l’alchimie et de
ses adeptes :
and
[aylmer] spoke in glowing language of the resources
of his art. he gave a history of the long dinasty of
the alchemists, who spent so many ages in quest of the
universal solvent by which the golden principle might
be elicited from all things vile and base.(*)
(*) et [aylmer] parlait des ressources de son art sur un ton
enflammé. il fit le récit de la longue dynastie des alchimistes,
qui consacrèrent de nombreux siècles en quête du solvant
universel par lequel le principe doré doit être soustrait de toutes
choses viles et basses.
le
mystère à révéler à l’initié est donc
celui de la transmutation des métaux et celui de l’élixir de vie.
en d’autres termes, et par correspondance, il s’agirait de la transmutation
de l’être inaccompli (le plomb) vers l’état d’illumination (l’or)
ainsi que de la vie éternelle (élixir d’immortalité) dont,
selon la tradition, seulement les êtres réalisés intérieurement
peuvent jouir. pour aylmer, la tradition correspondrait à la pratique
de l’alchimie; pratique qui est considérée tel un art dans le
sens de la pratique du grand Œuvre. pour lui, la tradition est un savoir occulte,
réservé uniquement aux initiés (appelés également
adeptes ou artistes) et retransmis de bouche à oreille. pour ce qui est
de la trace de son propre cheminement, aylmer montrera à georgiana les
secrets du trésor accumulé au cours de ses longues années
d’étude, recherche et pratique de l’Œuvre.
aylmer
reappeared and proposed that she should now examine
his cabinet of chemical products and natural treasures
of the earth. among the former he showed her a small
vial, in which [...], was contained a gentle yet most
powerful fragrance, [...] a small crystal globe containing
a gold-colored liquid [...] the elixir of immortality.
»(**)
(**) aylmer réapparut et lui dit qu’à présent
elle devrait examiner son cabinet de produits chimiques et de trésors
naturels de la terre. parmi les premiers il lui montra un petit flacon, dans
lequel, [...], était contenu un parfum léger quoique des plus
puissants, [...] un petit globe de cristal qui contenait un liquide de couleur
doré [...] l’élixir de vie. »
la
dernière phase des rites d’initiation évoquée par eliade
se réfère à des opérations spécifiques sur
le corps du candidat, de même que dans ce récit l’extirpation de
la marque de naissance constitue la dernière phase des opérations
de aylmer sur le corps physique de georgiana. la signification symbolique de
cette dernière étape est le passage de la mort à la résurrection,
car ce n’est qu’à travers la mort que le néophyte peut dépasser
sa condition profane : l’accès à la spiritualité se traduisant
par un symbolisme de la mort.
c) le royaume végétal.
mis
à part cette structure imageante de la diade ciel/terre, il y a dans
ce récit un bon nombre d’autres constellations imageantes ayant une correspondance
symbolique et en particulier avec la symbolique tellurique, comme par exemple
l’imagerie qui est en relation avec la plante et sa morphologie. celle-ci entretient
sous le plan du symbole quelque ressemblance avec l’arbre. l’imagerie de la
fleur est représentée ici par la rose et le géranium ainsi
que leur cycle végétal. le royaume végétal constitue
l’une des formes de la vie de la production de la terre-mère. l’ensemble
des images apparemment fragmenté, et même disloqué, s’articule
progressivement autour de cette image maîtresse qu’est la terre.
pour
hawthorne la création ne peut avoir lieu qu’à partir de ce qui
est représenté derrière l’imagerie tellurique. ainsi dans
la diade ciel/terre, l’élément le plus investi est le second.
la question philosophique de la création se trouvant de telle sorte déterminée
par la suprématie accordée à la terre sur le ciel. de sorte
que dans cette structure imageante relevant du royaume végétal
les images se présentent d’un prime abord disloquées, chacune
en position autonome, apparemment sans enchaînement sémantique;
mais au fur et à mesure que l’analyse avance, un fil significatif se
dégage qui permet l’accès au réseau de sens de la structure
centrale. ainsi à travers celle-ci, relevant du royaume végétal,
hawthorne suggère l’hypothèse selon laquelle la mort ne devrait
pas être envisagée comme la fin de la vie, mais comme un changement
de niveau d’existence, car georgiana, en tant qu’être humain, répond
à l’ordre cyclique de la nature.
à
travers la constellation d’images créée à partir de la
« plante », le « cycle », la « fleur » (rose
ou géranium), et les couleurs (jaune, vert, rouge et blanc), hawthorne
tient un discours sur la création et ses différentes étapes,
à savoir la hiérogamie, la fécondité, le renouvellement,
le cycle et la production. la question de la création comprenant plusieurs
niveaux : la biogonie, la cosmogonie, mais aussi la création littéraire.
ce dernier est traité au chapitre suivant : « la marque de
naissance ou la marque de la création. » l’analyse de cette
constellation permettra de mieux comprendre toute la richesse symbolique de
la marque de naissance.
la
plante.
dans
le récit il y a une plante, un géranium, laquelle à l’étonnement
de georgiana accomplit en quelques instants son cycle biologique complet, à
savoir la germination, la croissance de la tige et l’apparition du bouton en
fleur; puis l’éclosion de celui-ci, le flétrissement des pétales
et la chute des graines du centre de la fleur sur la terre. les grains de pollen,
agents mâles, par l’intermédiaire des graines fécondées
tombant sur la terre, l’élément féminin, ritualisent l’union
des contraires qui, à son tour, produit la germination et renouvelle
le processus cyclique. ainsi s’accomplissent devant ses yeux et par métaphore
interposée, d’une part, le cycle de sa propre vie, et d’autre part, le
cycle de l’existence de son mariage avec aylmer.
le
cycle.
le
cycle complet de la plante est décrit comme suit. la germination : [georgiana]
was soon startled to perceive the germ of a plant shooting upward from the
soil. la croissance de la tige : there came the slender stalk. la
croissance des feuilles : the leaves gradually unfolded themselves. l’éclosion
de la fleur : and amid them was a perfect and lovely flower. la chute
et la mort : [...] the whole plant suffered a blight, its leaves turning
coalblack as if by the agency of fire. la fertilisation et le renouvellement
du cycle : and leave nothing save its brown seed vessels; [...](*)
(*) bientôt [georgiana] fut étonnée de
voir le germe d’une plante s’étirant droit tout au haut du terreau.
[...]
les feuilles se déplièrent
progressivement; et au milieu d’elles se
trouvait une fleur parfaite et magnifique. [...] l’ensemble de la plante
pâtit de flétrissure, ses feuilles devinrent noir-charbon comme
sous l’action du feu. [...] et ne laissera rien à part ses vaisseaux
de grains marrons; [...] (les italiques m’appartiennent).
cette
scène fonctionne telle la métaphore du cycle de la vie de georgiana,
dont le nom évoque la terre (géo-) et ne comporte pas l’étape
du flétrissement de la fleur, c’est-à-dire la phase du déclin
chez l’être humain, comme si au moyen de cette absence la mort prématurée
de georgiana, à la fleur de l’âge, serait de telle sorte annoncée,
car, en effet, elle ne connaîtra pas de vieillissement. des quatre phases
de l’existence humaine, trois seulement sont décrites en rapport avec
georgiana, à savoir la naissance, la jeunesse et la mort. enfin, pour
ce qui est de la métaphore du cycle d’existence de leur mariage, de même
qu’il n’y a pas d’épanouissement de la fleur lors de l’accomplissement
de son cycle, il n’y a pas d’accomplissement non plus dans leur mariage, car
presqu’aussitôt après le début de leur vie en commun survient
la mort de georgiana, et le mariage se termine à ce moment là.
par ailleurs, la régénérescence ou renouvellement promis
du cycle de la plante grâce à ses graines, suggère qu’il
sera de même pour georgiana, régénérescence qui dans
ce cas doit se comprendre comme une renaissance dans l’au-delà, mais
seulement après la mort physique. le rapprochement entre le niveau végétal
et le niveau humain s’effectuant par le circuit contenu entre ces deux niveaux.
dans de nombreuses traditions provenant de différentes civilisations
archaïques, les hommes sont considérés comme des simples
projections de la matrice végétale. l’idée de base de cette
structure imageante en rapport avec le cycle végétal étant
celle de la vie qui se régénère périodiquement,
car la végétation est la manifestation de la réalité
vivante.
la
fleur.
pour
ce qui est de la fleur, deux variétés sont décrites dans
le récit : la rose et le géranium. la première est évocatrice
des joues de georgiana, mais aussi de la personne elle-même. sur le géranium,
aylmer effectue une expérience chimique similaire à celle qu’il
aurait pu mener sur le corps physique d’une personne.
les
joues de georgiana sont souvent comparées à l’image de la rose
:
it
needed but a glance [...] to change the roses of her
cheek into a deathlike paleness, [...]. (**)
(**) il n’avait besoin que d’un coup d’œil [...] pour changer
les roses de ses joues dans une pâleur de mort, [...].
elles
entretiennent en commun avec cette fleur l’aspect de la corolle ouverte : a
healthy though delicate bloom(***). ce dernier
terme se réfère à une fleur au moment de sa complète
éclosion. la couleur est également un autre élément
important dans ce rapprochement :
the
mark wore a tint of deeper crimson, which imperfectly
defined its shape amid the surrounding rosiness.(*)
(***)
une mine robuste quoique délicate.
(*)
la marque comportait une teinte d’un rouge plus sombre, qui définissait
imparfaitement sa forme au milieu du rose environnant.
rosiness,
qui vient de rosy, signifie en particulier la couleur rose ou rouge de
la rose. par ailleurs, ces roses imagées peuvent être également
rouges :
a
stronger infusion would take the blood out of the cheek,
and leave the rosiest beauty a pale ghost.(**)
(**) une infusion plus forte enlèverait le sang de la
joue, et laisserait la beauté la plus rosée tel un fantôme
pâle.
ou
bien blanches :
there
she beheld herself pale as a white rose and with the
crimson birthmark stamped upon her cheek.(***)
(***) là elle se voyait pâle comme une rose blanche
avec sa marque de naissance cramoisie, estampée sur sa joue.
as
a white rose est une métaphore au travers de laquelle la personne
même de georgiana se trouve décrite. en d’autres termes, la rose
devient son symbole. par ailleurs, les pétales de la rose sont mis en
relation avec les cinq sens, tandis que le cœur de la rose sera comparé
à l’esprit de georgiana :
«
my earthly senses are closing over my spirit like the
leaves around the heart of a rose at sunset. »(****)
(****) « mes sens terrestres se referment sur mon esprit
comme les feuilles autour du cœur de la rose au coucher du soleil. »
d’une
manière générale, la fleur est un symbole du principe passif,
c’est-à-dire du principe féminin, donc de la terre, à son
tour symbole de la mère et archétype démétrien.
dans rappaccini’s daughter, la fille de rappaccini, de nathaniel hawthorne,
faisant partie du recueil mosses from an old manse, ce même jeu
de correspondances apparaît entre la jeune femme, béatrice, qui
est la fille de rappaccini, un médecin réputé qui cultive
un jardin de plantes médicinales, et le royaume végétal.
béatrice est considérée telle une fleur : the most splendid
of the flowers [...] the human sister of those vegetables ones, as beautiful
as they.(*****)
(*****) la plus splendide des fleurs [...] la sœur humaine
de celles qui sont végétales, aussi belle qu’elles. in la fille
de rappaccini.
quant
au géranium, cette fleur n’apparaît qu’une seule fois vers la fin
du récit. cette scène se trouve particulièrement en relation
avec la régénérescence de georgiana. idée qui se
dégage par l’analyse symbolique des couleurs de la plante et par l’analyse
étymologique du mot géranium.
on
the window seat there stood a geranium diseaced with
yellow blotches, which had overspread all its leaves.
aylmer poured a small quantity of the liquid upon the
soil in which it grew. in a little time, when the roots
of the plant had taken up the moisture, the unsightly
blotches began to be extinguished in a living verdure.(******)
(******) sur le rebord de la fenêtre se trouvait un géranium
malade avec des taches jaunes, qui s’étaient répandues sur toutes
ses feuilles. aylmer déversa un peu de liquide sur le sol où il
poussait. en peu de temps, quand les racines de la plante eurent absorbé
l’humidité, les taches laides commencèrent à s’effacer
laissant une verdure vivante.
deux
couleurs sont présentes : le jaune (yellow) et le vert (verdure).
le premier est ici annonciateur du déclin dans le cycle végétal,
mais il indique aussi le vieillissement déjà commencé et
les approches de la mort. le jaune pourrait être considéré,
dans cette logique, comme un substitut du noir, couleur qui, par ailleurs, est
présente dans cette scène au travers du mot soil, la terre.
le jaune a la valeur de l’automne et précède la noirceur de mort
hivernale dans le cycle des saisons. dans cette scène, aylmer assume
symboliquement le rôle du laboureur au moment où il verse du liquide
dans le terreau, comme s’il fertilisait la terre par ce geste. à ce moment
la plante retrouve sa verdeur, ici synonyme de vigueur, de la force du printemps.
par
son étymologie, le géranium (geranos : grue) est associé
à l’oiseau grue, symbole de longévité. par ailleurs, la
grue est symboliquement en rapport avec l’aspect cyclique de l’épreuve
labyrinthique elle-même. si cette image apparaît à la fin
du récit c’est aussi parce que, d’une part, georgiana sort, à
ce moment de la narration, des épreuves initiatiques que aylmer lui a
fait subir, et d’autre part, le lecteur sort du labyrinthe des jeux d’images
du conte. mais il y a encore une autre image significative chez l’oiseau grue,
et qui est en relation avec les couleurs. tout comme georgiana, cet oiseau a
la tête rouge et le corps blanc. en outre, le retour cyclique de la grue
est également un symbole de régénérescence associé
au printemps.
de
par sa forme extérieure, le géranium ressemble à un petit
arbre dans la mesure où ses feuilles, racines et fleurs sont décrites.
ainsi il y aurait entre l’arbre et sa régénérescence cyclique
une étroite symbolique car du fait que celui-ci se régénère
périodiquement pendant des années, on lui attribue le caractère
d’immortalité. associé à l’arbre, l’image de l’arbrisseau
du géranium met en communication les deux niveaux du cosmos : le souterrain
et la terre par ses racines fouillant les profondeurs où elles s’enfoncent;
le ciel par ses branches supérieures, attirées par la lumière
du soleil. dans cette communication a lieu l’union des contraires. de même
que l’image de l’astre, la marque de naissance que porte georgiana sur sa joue
gauche et qui a la forme d’une main, est, elle aussi, enracinée dans
les profondeurs de la jeune femme. il y aurait une analogie entre l’enracinement
végétal et le système de ramification organique chez l’homme
: l’arbre apparaît dès lors comme l’image cosmique de toute espèce
vivante sur terre. parce que les racines de l’arbre plongent dans le sol et
que ses branches s’élèvent au ciel, l’arbre est universellement
considéré comme le symbole des rapports qui s’établissent
entre la terre et le ciel. la marque de naissance symboliserait le lien qui
unit le spirituel et le matériel, l’intérieur et l’extérieur
de cet être.
enfin,
en quittant cette structure imageante reliée à la terre et, par
extension, à georgiana, la valeur symbolique des couleurs principales
investie dans ce récit constituera le dernier point à analyser
en rapport avec une autre structure imageante constituée à partir
de l’ensemble : « cœur », « sang », « centre »,
« rouge » et « blanc ».
le
cœur et le sang.
le
cœur est le siège des sentiments, et par là l’expression de la
vie spirituelle. en effet, dans ce récit, il y a une étroite relation
entre l’émotif et le spirituel. le cœur fait partie du régime
d’images reliées au symbole ciel de notre diade ciel/terre. le changement
des couleurs sur les joues de georgiana dépeint l’extériorisation
des émotions de la jeune femme. dans ce constant changement de couleurs
se trouve l’aspect dynamique du principe actif, mais imperceptible autrement,
de la vie intérieure, émotive ou spirituelle. il y a une relation
physiologique entre le cœur et le sang, en ce sens que cet organe assure la
circulation sanguine : le cœur est donc un organe central et vital. par ailleurs,
il y a un mouvement binaire, systole et diastole, impliquant que le centre ne
peut être un point immobile, mais dynamique :
this
mimic hand [...] now lost, now stealing forth again
and glimmering to and fro with every pulse of emotion
that throbbed within her heart(*)
(*) cette main mimée [...] tantôt disparaissant,
tantôt encore s’insinuant et brasillant de-ci de-là à chaque
battement de l’émotion qui palpitait dans son cœur
le
blanc et la mort.
cette
couleur représente l’état du passage de la vie à la mort.
elle absorbe l’être et l’introduit au monde lunaire. le blanc en ce sens
s’oppose au rouge, car lorsque le rouge est en relation avec le sang et son
afflux, le blanc par contre est en relation avec la pâleur du corps, c’est-à-dire
avec l’absence de sang, et s’il y a pâleur et exanguinité, l’idée
de mort se manifeste. ce jeu d’oppositions : rouge/vie, blanc/mort, est réitéré
à différents moments du récit, car il en est le thème
central : to change the rosiest of her cheek into a deathlike paleness(**)
ou encore : a bas-relief of ruby on the whitest marble.(***)
(**)
pour changer les roses de ses joues dans une pâleur de mort.
(***)
un bas-relief de rubis sur le plus blanc des marbres.
les
oppositions sont claires : roses en tant que couleur de vie, d’afflux
sanguin opposé à paleness, pâleur, soit au reflux
de chaleur et de vie. puis ruby, rubis, métaphore de rouge connotant
la couleur du sang et s’opposant au blanc du marbre, pierre de la statuaire
par excellence et qui de plus établit une forte connotation de mort :
«
[...] and leave the rosiest beauty a pale ghost. »(*)
(*) « [...] et laisserait la beauté la plus rosée
tel un fantôme pâle. »
georgiana
serait donc un personnage féminin habité par une entité
masculine : la marque de naissance. la première étant en relation
avec le symbole terre, la deuxième avec le ciel. les deux entités
en opposition cohabitant dans un seul et même corps. par ailleurs, aylmer
et georgiana fonctionnent en opposition, tout comme aylmer et aminadab; l’un
étant l’esprit, l’autre la matière. aucun ne jouit de la parfaite
harmonie d’un échange des forces célestes et terrestres, d’où
l’idée de leur imperfection. les trois apparaissent à la fin de
cette analyse moins comme des personnages que comme des symboles, c’est-à-dire
des représentations de concepts, ou des idées abstraites employées
par hawthorne de manière à mettre en place les éléments
d’une pensée philosophique portant sur le thème de l’imperfection
de la création. thème qui du reste n’est abordé qu’au moyen
des symboles, de mythes et d’une imagerie en rapport avec la biogonie et la
cosmogonie, tous des archétypes vivants, expression de l’imaginaire.
cette réflexion mène à une autre plus proche de la personne
même de nathaniel hawthorne, à savoir son interrogation concernant
sa propre création littéraire, ainsi que nous allons le voir à
présent.
iv.
the birthmark, la marque de naissance ou la marque de la création.
the
birthmark est le titre du conte. en analysant ce mot dans ses deux composantes
: birth, naissance, et mark, la marque, on traduira donc ce titre
par la marque de naissance et non pas par « la marque sur la joue
» ainsi que l’édition bilingue garnier flammarion a présenté
ce récit au public français. pris dans ce dernier sens, ou plutôt
contresens, la connotation principale du mot birth, naissance, qui est
le sens de la création, thème central du conte comme je viens
de le démontrer, et qui se trouve annoncé dans le titre, est de
la sorte amputé.
cette
marque est placée sur la joue gauche de georgiana, côté
symbolisant l’aspect féminin, passif, lunaire, aquatique, chaotique,
le blanc, la mort, la nuit, l’ouest, etc. c.g. jung fait remarquer à
ce propos : « le côté gauche (sinister !) est le côté
sombre, celui de l’inconscient. ce qui est à ‹gauche› est défavorable,
ce qui est à gauche est maladroit. »(26)
tandis que la « marque de naissance », contrairement à la
symbolique de « gauche », connote des éléments qui
s’opposent. toutefois, l’un et l’autre constituent deux symboles opposés
mais inséparables à partir du moment où ils se trouvent
réunis dans un même corps, celui de georgiana. peut-être
encore que leur unique point en commun serait celui d’être sombre,
comme le précise jung, qualité présente également
pour la marque elle-même.
en
soi cette marque n’a rien de fantastique si ce n’est la manière dont
les personnages de l’histoire l’interprètent, manière qui lui
confère son caractère mystérieux. en somme, ces personnages
pourraient se grouper en trois catégories : les prétendants à
la main de georgiana, les femmes, et, enfin, les hommes. pour les premiers qui
se sentaient attirés et stimulés d’une manière sensuelle
par ladite marque au point qu’ils auraient risqué leur vie pour le seul
plaisir de l’embrasser, elle comporterait donc un caractère érotique.
many
a desperate swain would have risked life for the privilege
of pressing his lips to the mysterious hand (**)
(**) plus d’un soupirant désespéré aurait
pu risquer sa vie pour avoir le privilège de poser ses lèvres
sur la main mystérieuse.
pour
la deuxième catégorie, des femmes insupportables qui fréquentaient
georgiana et qui affirmaient que la marque de naissance l’enlaidissait, elle
apparaît tel un objet de convoitise érotisé.
some fastidious persons — but they
were exclusively of her own sex — affirmed that the
bloody hand [...] quite destroyed the effect of georgiana’s
beauty, [...] (*)
(*) quelques personnes fastidieuses — mais elles n’étaient
exclusivement que de son propre sexe — affirmaient que la main de sang [...]
détruisait assez l’effet de la beauté de georgiana, [...]
et,
enfin, pour le troisième groupe, constitué par des hommes (en
dehors des prétendants) : ceux-ci auraient aimé la voir sans la
marque pour ainsi admirer un spécimen vivant de la beauté idéale
:
masculine observers [...] contented
themselves with wishing it away, that the world might
posses one living specimen of ideal loveliness [...]
(**)
(**) pour les observateurs masculins, [...] ils se contentaient
de souhaiter sa disparition, pour que le monde puisse posséder un spécimen
vivant de la beauté idéale [...]
l’on
constate que seulement là où la marque suscite l’éveil
du sentiment érotique, c’est-à-dire parmi le premier groupe, la
marque est qualifiée de « mysterious hand », main mystérieuse,
or cette expression veut dire : « vérité religieuse révélée
d’une manière divine »(27). définition
qui place la marque de naissance au centre de sa propre énigme. cette
marque serait ainsi la manifestation du sacré, à savoir une hiérophanie.
elle est la manifestation d’une réalité qui n’appartient pas au
monde physique et profane. pourtant elle est décrite comme ayant la forme
d’une toute petite main d’être humain, telle la grandeur de la main d’un
pygmée :
its
shape bore a little similarity to the human hand, though
of the smallest pygmy size (***)
(***) sa forme ne comportait pas peu de similitude avec la
main humaine, quoiqu’elle eût été de la taille d’un pygmée.
le
deuxième élément qui a trait au fantastique, et en particulier
au merveilleux, est le mot pygmy, pygmée. il place définitivement
la « marque de naissance » dans une réalité autre
que celle partagée et connue par tous. en effet le pygmée était
un être appartenant à un peuple légendaire de nains de la
région du nil. ils sont considérés comme étant des
génies de la terre et du sol. avec le pygmée, image tellurique,
se poursuit donc cette chaîne sémantique en rapport avec la diade
terre/ciel. les nains accompagnent souvent les fées, or ces dernières
sont également présentes dans le récit et constituent le
troisième élément du merveilleux.
some
fairy at her birth hour laid her tiny hand upon the
infant’s cheek (****)
(****) [...] quelque fée à l’heure de sa naissance
posa sa minuscule main sur la joue de l’enfant, [...]
nains
et fées font partie de ce que gilbert durand appelle « les symboles
de l’inversion ». en effet, ces deux images fonctionnent en tant que symboles
de l’inversion dans la mesure où elles représentent l’inversion
de l’immense dans le minime. ce sont deux images du sacré (l’immense)
dans une forme compréhensible par l’entendement humain (le minime). la
légende veut que la fée soit la messagère de l’autre monde,
tout comme « la marque de naissance » apparaît telle la manifestation
de cet autre monde. la fée est aussi la manifestation d’une divinité.
dans le cas présent ce serait une divinité malveillante à
l’égard de aylmer et de georgiana, car elle est la cause de leur malheur,
de leur fatalité, de la mort de georgiana qui entraînera le veuvage
de aylmer ainsi que l’échec dans ses recherches scientifiques.
«
would you throuw the blight of that fatal birthmark
over my labors ? [...] »
(*****)
(*****)
«
jetteriez-vous le fléau de cette marque de naissance fatale sur mes travaux
? [...] »
blight
qui signifie l’influence néfaste et fatal qui évoque le
deuxième terme de cette citation : fatal, qui à son tour
suggère le fatum, c’est-à-dire tout ce qui est dans la
destinée chez l’homme, telle la ruine, la maladie, la souffrance et la
mort.
in
this manner, selecting it [the birthmark] as the symbol
of his wife’s liability to sin, sorrow, decay, and death.
(*)
(*) de cette manière, il la choisit comme le symbole
de l’assujettissement de sa femme au péché, à la souffrance,
au déclin et à la mort.
bien
qu’elle soit une hiérophanie, elle n’est pourtant vénérée
par aucun des personnages, or dans le langage courant le sacré est digne
de vénération. la définition générale du
sacré rappelle son aspect insupportable pour l’homme, car la révélation
du tremendum provient d’un domaine séparé de notre réalité,
et elle est régie par des lois inconnues de nous. souvent elle sera interdite
aux non-initiés et inviolable parce que le sacré est tabou. dans
des termes empruntés à gilbert durand, la «
marque de naissance » ferait partie des images nocturnes à cause
des caractéristiques de profondeur qu’elle comporte. cette marque serait
donc la manifestation du divin et d’essence immense, manifestée telle
une miniature. gulliverisée, elle démontre sa nature inversée
afin d’être saisie par l’entendement humain.(28)
par
ailleurs, aylmer perçoit cette marque comme la manifestation de quelque
chose lui révélant ses propres limites, car progressivement il
se rend compte qu’elle est régie par des lois inconnues de lui. malgré
l’échec enduré, aylmer aura pourtant vécu une expérience
religieuse, ce qui lui permettra de porter un regard autre sur le monde. il
aura une vision plus proche du réel, car le sacré permet à
l’homme religieux de vivre dans la réalité en tant que telle.
yet,
had aylmer reached a profounder wisdom, [...] to find
the perfect future in the present. (**)
(**) cependant, si aylmer avait atteint une connaissance plus
profonde, [...] à trouver le futur parfait dans le présent.
ce
present comporterait une valeur de «
réalité ».
considérant
«
la marque de naissance » comme la manifestation et la révélation
du sacré, par conséquent étant tabou, aylmer apparaît
comme un profanateur. la vision intellectuelle qu’il possédait avant
d’avoir vécu l’expérience religieuse le conduit à tenter
l’extirpation de la marque avec l’objectif de rendre la création parfaite.
et tant qu’il ne s’était pas libéré de cette vision initiale,
il continuait à considérer la marque comme le symbole de la relation
humaine avec la matière.
dans
la légende de saint georges et le dragon, le guerrier ne sera sanctifié
qu’après la lutte contre la bête. le dragon dans l’imagerie alchimique
possède un pouvoir qui tue, de même georgiana, qui est à
la fois saint georges et le dragon, c’est-à-dire georgiana et «
la marque de naissance », se présente à la vision de aylmer
comme l’ennemi qui doit être vaincu afin de s’approcher de la pierre philosophale,
ou dans d’autres termes du secret de la force créatrice.
the
philosopher should lay his hand on the secret of creative
force and perhaps make new worlds for himself. (***)
(***) le philosophe puisse mettre la main sur le secret de
la force créatrice et fasse peut-être des mondes nouveaux pour
lui-même.
ce
qui voudrait dire posséder la force de création nécessaire
afin de faire une cosmogonie et une biogonie à sa mesure. ce serait devenir
l’égal de dieu.
selon
l’imagerie biblique de l’ancien testament, la main de dieu est celle du créateur
qui crée et protège sa création. ainsi « la marque
de naissance », de par sa forme, celle d’une main miniature, serait la
représentation de celle du créateur. or, dans les saintes écritures,
il est dit que s’il y a opposition à la volonté du tout puissant,
et tel est le cas dans la démarche de aylmer en voulant la faire disparaître,
alors la main de dieu détruit.
h
enfin,
mon hypothèse quant à la signification de cette main est la suivante
: georgiana serait l’espace par où une main viendrait cultiver, labourer,
travailler. la marque étant la trace laissée par cette main qui
sillonne au moyen des signes d’écriture. c’est-à-dire la main
de l’écrivain laissant sur l’espace de la feuille blanche un corps écrit,
qui est un corps marqué par les signes de sa création, à
savoir l’écriture. en ce sens the birthmark est la marque de la
création littéraire de hawthorne lui-même. georgiana devient
alors le corps fragmenté, et non pas complet, parce que toute écriture,
noircissement, ne se fait que par fragments, et aussi parce que toute écriture
est inachevée dans la mesure où elle n’a ni commencement ni fin.
elle se constitue par fragments, par petits bouts rattachés les uns aux
autres au travers des fils de sens, d’images, de symboles.
si
ce corps d’écriture est symbolisé ici par le corps d’une femme,
je vois là l’expression de la nature insaisissable des artistes, à
la fois mâle et femelle, comme s’il y avait dans leur nature une impossibilité
à être des individus définis. la création apparaît
alors comme provenant de cette complémentarité des principes opposés,
ainsi que je l’ai déjà explicité préalablement,
la création semble prendre racine à partir de l’union des contraires,
et dans le cas où cette forme serait absente, alors la création
est assumée par un être complet, se suffisant à lui-même
: l’androgyne. mircea eliade explique la raison pour laquelle le mythe de la
hiérogamie n’est pas universel : c’est parce que dans les sociétés
où l’on ne retrouve pas trace de ce mythe on retrouve par contre celui
de l’androgyne(29). s’il est vrai que pour l’homme
archaïque aucune création ne peut se faire sans l’intervention du
sacré, alors je concluerai que la hiérophanie dans ce récit
serait la manifestation de la création de hawthorne. la marque représente
symboliquement l’écriture de l’auteur. or, lui-même décrit
cette marque comme le symbole de l’imperfection : the symbol of imperfection.
alfred
kazin(30) rapporte les faits que hawthorne mourut
d’un arrêt cardiaque, ayant vécu ses dernières années
avec le sentiment d’être un écrivain raté. il considérait
toute son œuvre comme inachevée, sauf pour the scarlet letter et the
house of the seven gables. tout ce qu’il écrivit par la suite ne
le satisfit pas. ainsi depuis l’âge de trente neuf ans, âge auquel
il écrivit the birthmark, hawthorne avait déjà le
sentiment d’échec face à son œuvre de création. le jugement
qu’il porte sur aylmer, son délégué dans le récit,
semble en fait être une auto-critique :
we
know not whether aylmer possessed this degree of faith
in man’s ultimate control over nature. (*)
(*)
nous ne savons pas si aylmer possédait ce degré de foi dans le
contrôle dernier de l’homme sur la nature.
d’une
manière générale on pourrait dire que les trois personnages
de ce conte sont les « projections psychiques » de hawthorne ainsi
que le fait remarquer jung : « il s’agit au contraire, dans ces figures,
de contenus psychiques qui se sont projetés hors de l’inconscient de
l’adepte (et de sa soror mystica). »(31)
ces figures en question sont le roi et la reine, l’anima et l’animus de l’alchimiste
créateur. quant à l’inquiétude de hawthorne, on pourrait
réécrire cette même phrase pour mieux constater qu’il s’agit
bien de lui-même :
«
i know not whether i possessed this degree
of faith in my ultimate control over my
creation. » (**)
(**) « je ne sais pas si je possède
ce degré de foi dans le contrôle dernier de ma propre création.
»
au-delà
de la problématique philosophique portant sur la création dont
ce récit est le témoignage, il m’est resté après
sa lecture la persuasion de la profonde inquiétude ressentie par hawthorne
à l’égard de son œuvre littéraire, comme s’il s’agissait
pour lui, tout comme le manifeste aylmer, de savoir dans quelle mesure la création
peut atteindre l’état de perfection. d’après la manière
dont il traite ceci, hawthorne dévoile sa propre vision : la perfection
serait un concept allant au-delà des limites de l’esthétique,
car le beau s’avère être l’expression d’un état de réalisation
spirituelle très élevé chez le créateur lui-même,
tout comme dans la démarche alchimique l’adepte ne peut réussir
l’Œuvre royale que si lui-même est arrivé à la réalisation
de soi, car pour l’adepte, homme religieux, il existe une correspondance indéniable
entre l’esprit et la matière. correspondance qui par ailleurs est également
présente dans ce récit entre l’espace et sa conceptualisation.
le lieu où travaille l’artiste apparaît tel un lieu sacré.
il correspond sur le plan physique à son univers intérieur.
atteindre
l’état de perfection implique qu’il a fallu à l’artiste et à
la matière avec laquelle il travaille un temps de gestation, temps dans
lequel la matière de l’œuvre passe par une première phase «
noire », occulte, de mort se transformant comme de la matière organique;
soit des états de putréfaction et de dissolution qui sont le signe
de la première mutation effective de la matière, et qui trouve
sa contre-partie dans des états de crise intérieure chez le créateur,
telle la mortification spirituelle chez le mystique. états de songe,
de rêverie, où l’artiste fait éclater la réalité
du quotidien au profit d’un état second d’hallucination, de délire,
et qui ne trouve sa fin qu’au moment du passage à la seconde phase qui
est celle de la résurrection. renaissance dans une condition d’existence
nouvelle pour le mental et pour l’organisme. toutes ces épreuves aboutiront
à la phase dernière où la matière de création,
informe et laide, est rendue belle et parfaite; soit de la matière accomplie.
ceci étant le but suprême poursuivi par le créateur.
mais
pour atteindre ce but il faut d’abord que la difficile traversée dans
le noir intérieur soit effectuée, car ce n’est qu’en passant par
là que la connaisance est obtenue par l’adepte : à travers l’expérience
de la désintégration et de la dissolution de son propre être.
en d’autres termes, hawthorne fait de aylmer, son homologue, un adepte traversant
toutes les péripéties par lesquelles passe l’alchimiste au moment
de sa quête. ce qui reste une manière poétique pour traiter
de sa propre traversée, sans que l’emprunt à ces images alchimistes
ne signifie que hawthorne était un alchimiste.
cette
réflexion touche au problème de l’origine des choses, de la création
primordiale. au niveau de la trame narrative, hawthorne situe l’action dans
la seconde moitié du xviiième siècle, dans un lieu clos
: le laboratoire. cependant, au niveau symbolique, il s’agit pour aylmer, le
créateur, et pour georgiana, la matière de travail en transformation,
de remonter dans le temps fabuleux des commencements; dans l’illo tempore
cosmique afin de revivre le jour « un » de la création, et
ceci avec le but de faire renaître la matière imparfaite dans un
nouvel état de perfection. le laboratoire aussi devient un lieu transgressant
la réalité matérielle et se transformant en un lieu fermé,
intra-utérin et labyrinthique. lieu où l’œuvre s’accomplit progressivement,
tel l’embryon dans son utérus. hawthorne fait éclater la réalité
matérielle des choses au profit d’une réalité intérieure
se prêtant à l’expérience spirituelle de l’artiste philosophe.
cette
transgression que le lecteur initié doit vivre avec lui pour mieux comprendre
sa démarche, est inscrite dans le texte sous-jacent au moyen des symboles
qui deviennent des mots, des archétypes qui sont des idées et
des mythes qui forment des récits parallèles à l’intérieur
de l’histoire.
au
travers du mythe tellurique de la création, hawthorne évoque par
là-même la première hiérogamie cosmique : le mariage
de la terre et du ciel. acte premier de création auquel il compare la
sienne.
en
ce sens ce récit est un fragment de réflexion philosophique à
la manière du fragment romantique où une idée est exposée,
mais avec le refus d’une philosophie morte. hawthorne marie la réflexion
philosophique à la poésie, constituant de la sorte son ambiance
particulière.
il
répond ici-même à son propre questionnement, à savoir
si le créateur peut, ou ne peut pas, accomplir une œuvre parfaite de
création. sa réponse est négative et extrêmement
pessimiste. l’artiste, selon lui, ne peut accomplir une création parfaite,
car l’homme de par sa propre nature est lui-même le résultat d’une
création imparfaite, et il ne peut avoir accès ni à la
maîtrise ni au savoir du monde spirituel et du monde matériel.
pour réussir il faut avoir accès à la parfaite maîtrise
de soi, c’est-à-dire à son accomplissement intérieur. l’artiste,
suggère-t-il, peut réaliser une création, mais elle sera
toujours imparfaite, car il y aura toujours un manque de savoir et de maîtrise
au niveau spirituel. à travers la très douloureuse expérience
vécue par aylmer, hawthorne avoue sa propre impuissance et son sentiment
d’échec concernant sa création littéraire.
notes et bibliographie
1.
ce
récit bref fait partie du recueil twice-told tales de la deuxième
édition augmentée de 1842. la première édition date
de 1837.
2.
e.a.
poe, « l’art du conte », graham’s magazine, 1842, in e.a.
poe cahier de l’herne, pp 112-116, livre cité.
3.
e. swedenborg, le ciel ses merveilles et l’enfer,
voir la « préface » : « il y a, en effet, dans chaque
expression de la parole un sens interne, dans lequel sont entendues non des
choses naturelles et du monde telles que celles qui sont dans le sens de la
lettre mais des choses spirituelles et célestes, et cela non seulement
quant au sens de plusieurs mots, mais même quant à chaque mot;
car la parole a été écrite par des pures correspondances,
afin qu’il y ait dans chaque expression un sens interne. » p 24, paris,
société française de la nouvelle église, 1960.
4.
c.-g. jung, psychologie et alchimie, paris, buchet/chastel,
1979.
5.
h.c.
west, « the evolution of hawthorn’s the birthmark. from source
to artifact », the nathaniel hawthorne journal, 1976.
6.
antonin
artaud, le théâtre et son double, p 32, tome iv, paris,
gallimard, 1938.
7.
voir
l’évangile selon jean, i, 1.
8.
mircea eliade, le sacré et le profane, p
25, paris, gallimard, 1975.
9.
mircea eliade, mythes, rêves et mystères,
chap. viii, paris, gallimard, 1978, et traité d’histoire des religions,
chap. vii, paris, p.b.p., 1979.
10.
mircea eliade, mythes, rêves et mystères,
p 211, livre cité.
11.
cf. the oxford dictionary of english christian names
: « aylmer », london, clarendon press, 1945.
12.
julius evola, la tradition hermétique, p
29, paris, éd. traditionnelles, 1975.
13.
jean-christophe bailly, la légende dispersée,
anthologie du romantisme allemand, p 145, paris, uge 10/18, 1976.
14.
f.w. schelling, « idée pour une philosophie de la nature »,
la légende dispersée, anthologie du romantisme allemand,
p 146, livre cité.
15.
f.w. schelling, « l’âme du monde »,
idem, p 150.
16.
julius evola, livre cité, pp 39-40.
17.
j’écarte volontairement toute relation avec le
personnage biblique amminadab, cf. the first book of the chronicles,
15.11, dont le nom est orthographié autrement que le nom du personnage
dans la marque de naissance.
18.
robert, dictionnaire de la langue française. voir « mal
».
19.
les italiques sont employés pour signaler les définitions
du mot latin male.
20.
cf. the oxford dictionary of english christian names
: « georgiana », livre cité.
21.
j. evola, métaphysique du sexe, p 165, paris,
p.b.p., 1976.
22.
aristote cité par evola, idem, p 65.
23.
j. evola, idem, chap. 4 : « les archétypes
démétriens et archétypes aphrodisiens », p 175.
24.
mircea eliade, mythes, rêves et mystères,
chap. viii, p 221, livre cité.
25.
m. eliade, idem, pp 240 à 246.
26.
c.-g. jung, psychologie du transfert, p 69, paris,
albin michel, 1980.
27.
the concise oxford dictionary.
cf. « mysterious » religious truth divinely revealed (vérité
religieuse révélée d’une manière divine).
28.
g. durand, les structures anthropologiques de l’imaginaire,
livre deuxième : le régime nocturne de l’image, chap. i, paris,
bordas, 1979.
29.
m. eliade, mythes, rêves et mystères,
chap. viii, pp 216-219, livre cité.
30.
voir l’introduction au selected short stories of nathaniel
hawthorne : « hawthorne had also felt himself to be a failure. his
sudden death [...] ended his struggle to climb out of the despondency and creative
frustration of his years, when he was unable to complete any of his projects.
» p 7, greenwich, fawcett publications, 1966.
31.
c.-g. jung, psychologie du transfert, p 79. les
italiques sont de l’auteur. livre cité.
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