30jours - la grande allemagne, un rêve ésotérique
30jours - la grande allemagne, un rêve ésotérique
dans l’Église et dans le mondemensuel internationaldirigé par giulio andreotti
home page
sommaire
archives
suppléments
abonnements
colophon
contacts
recerche en le dernier numero en archiverecerche avancé...>>
octobre 2004 ->
sommaire ->
la grande allemagne, un rêve é.....
version imprimable
histoire
la grande allemagne, un rêve ésotérique
interview de giorgio galli sur les racines occultistes du nazisme, qui sont également à l’origine de l’idée selon laquelle l’“espace vital” du troisième reich devait arriver jusqu’à l’oural. cet aspect, peu étudié par les historiens, est de nouveau débattu depuis la chute du mur de berlin
par paolo mattei
giorgio galli considère qu’il n’est pas en mesure de juger l’ésotérisme
“de l’intérieur”, et pourtant ses recherches sur l’ésot
dessus, une affiche des ss (schutz staffeln, “Échelons de protection”) avec la stylisation runique du sigle. les symboles runiques ont été étudiés par guido von list, un adepte de l’ésotérisme auquel adolf hitler (dessous) a fait référence dans les années de sa formation intellectuelle
giorgio galli considère qu’il n’est pas en
mesure de juger l’ésotérisme “de l’intérieur”, et pourtant ses recherches sur
l’ésotérisme sont reconnues et appréciées. il estime qu’il est dans la position
«d’un historien et d’un politologue selon lequel la culture ésotérique a
beaucoup plus à faire avec les disciplines qu’il étudie que l’historiographie
et les sciences politiques ne l’ont cru jusqu’ici», dit-il en choisissant ses
mots.
c’est d’ailleurs sur cette base qu’il a
étudié le troisième reich et publié en 1989 le résultat des ses travaux dans un
livre très connu: hitler e il nazismo magico. le componenti esoteriche del
reich millenario [hitler
et le nazisme magique. les composantes ésotériques du reich millénaire],
(rizzoli, milan). l’année 1989 lui fait entrevoir des coïncidences
significatives: le centenaire de la naissance de hitler et le bicentenaire de
la révolution française. «cette année 1989», explique-t-il dans la préface à la
seconde édition du texte «allait entrer dans l’histoire à cause de la
révolution à l’est. cent ans exactement après la naissance du führer, on a assisté à la chute du mur de
berlin, prémisse d’une allemagne à nouveau unie et puissance dominante en
europe».
après les quinze années qui se sont
écoulées, après tant d’événements, après la tragédie du 11 septembre 2001 qui a
mené à des guerres encore en cours, l’histoire de violence et de mort dont
hitler et le nazisme ont été les protagonistes continue à poser des questions
inquiétantes et à se proposer comme unité de mesure de la violence et de la
mort qui sévissent chaque jour dans les endroits du monde tourmentés par les
conflits. nombreux sont donc ceux qui s’intéressent à l’éventuel substrat
occultiste, magique ou ésotérique de ce phénomène. la télévision s’en est
souvent occupée et dans la seule année dernière, deux livres ont eu une
certaine diffusion en italie: celui de marco dolcetta, nazionalsocialismo
esoterico [national
socialisme ésotérique], cooper castelvecchi, rome 2003 et celui de mel gordon,
il mago di hitler, eric jan hanussen: un ebreo alla corte del führer [le magicien de hitler, Éric jan hanussen,
un juif à la cour du führer], mondadori,
milan 2004.
nous avons posé quelques questions à
giorgio galli, auteur de nombreux essais dont certains traitent des rapports
entre l’ésotérisme et la politique, comme la politica e i maghi [la politique et les magiciens], rizzoli milan 1995, politica e
esoterismo alle soglie del 2000 [politique et ésotérisme au seuil de l’an 2000], rizzoli, milan 1992,et enfin appunti
sulla new age, [notes sur
le new age], milan
2003, dans lequel il analyse ce mouvement culturel en partant notamment de
documents pontificaux.
dans votre essai sur le “nazisme
magique”, vous dégagez l’idée d’un “pont ésotérique” entre l’angleterre et
l’allemagne, entre théories et sociétés ésotériques présentes dans les deux
nations à cheval entre le xixème et le xxème siècle, un pont qui arrive
jusqu’aux fondateurs du nazisme. de quoi s’agit-il?
giorgio galli: entre la fin du
dix-neuvième et le début du vingtième siècle, on assiste à un retour des
traditions ésotériques en allemagne et en angleterre. un “pont ésotérique”
entre les deux États, celui des fraternités de la rose-croix, existait déjà au
xviième siècle, dans le cadre d’une culture occultiste qui n’était pas
étrangère à la guerre de trente ans qui ravagea l’allemagne. dans les dernières
décennies du dix-neuvième siècle, les relations entre sociétés occultistes
allemandes et anglaises se resserrent; des liens étroits s’établissent entre
personnes influentes – sur la base d’une conception “magique” de la réalité –
et se transmettent pendant une ou deux générations. il y a aussi des éléments
inquiétants dans ce retour. l’un d’entre eux est constitué par la “magie
sexuelle”, à savoir l’obtention de pouvoirs “spéciaux” dérivant de pratiques
sexuelles: en 1888, l’année qui suivit la fondation de l’hermetic order of
the golden dawn, londres
a été ravagée par une série de crimes sexuels, ceux de jack l’Éventreur dont le
mystère n’a toujours pas été éclairci. certains personnages et certaines
relations indiquent de manière significative la résurgence de cette culture
ésotérique en europe, comme par exemple la rencontre à londres de l’occultiste
français eliphas lévi (c’était le pseudonyme biblique d’alphonse-louis constant,
un ancien séminariste devenu révolutionnaire à paris en 1848) avec edward
bulwer-lytton, qui aura un rôle crucial dans l’évolution des rose-croix au sein
de l’hermetic order of the golden dawn. après différentes péripéties entre ses activités
révolutionnaires et occultistes, lévi écrira un livre, dogme et rituel de la
haute magie, dans lequel
il est question d’une forme d’énergie, le “vril”; celle-ci donnera son nom à
une société qui, avec le fondateur de l’institut de géopolitique de berlin karl
haushofer, contribuera de manière décisive à l’élaboration de l’idéologie nazie
en ce qui concerne l’idée de race aryenne et d’“espace vital”, le lebensraum.
quels sont les théories et le cadre
culturel communs à ces groupes?
galli: tout d’abord, une conception selon
laquelle l’histoire que nous connaissons n’est qu’une partie de l’histoire
humaine. seules certaines élites d’initiés connaissent “toute” l’histoire,
l’histoire très antique de civilisations pures et non contaminées. ce savoir et
ces connaissances, auxquels il est possible de puiser grâce à des pratiques et
des rites occultes, transmettent un pouvoir particulier aux initiés qui doivent
aussi jouer un rôle politique pour gérer le futur d’une humanité déchue à
laquelle il faut restituer les qualités et les caractéristiques qui se sont
perdues avec le temps. les membres de ces sociétés se considèrent donc comme
les dépositaires d’une sagesse antique, primordiale, qui se manifeste souvent
dans des rites particuliers. il est intéressant de constater que certains
adeptes de groupes ésotériques se retrouvent parmi les responsables des
services secrets de leur pays. un personnage-clé en ce sens est l’allemand
theodor reuss, membre de la société occultiste ordo templi orientis et maître de l’anglais aleister crowley.
crowley était lui aussi maître d’occultisme et en même temps agent des services
secrets britanniques, et il avait adhéré à la célèbre société de la golden
dawn – une dérivation,
comme nous l’avons vu, de la fraternité de la rose-croix –, avant de fonder une
section anglaise de l’ordo templi orientis. la golden dawn est à son tour liée à des associations allemandes
proches de la doctrine secrète de la russe elena blavatskij – fondatrice à new
york, en 1875, de la société théosophique – et à l’anthroposophie de rudolph
steiner.
mais l’hitlérisme et le nazisme
naissent bien après ces épisodes...
galli: mon hypothèse est que ce “pont” qui
unissait, comme je l’ai expliqué, la culture ésotérique, les ordres hermétiques
et les services secrets anglais et allemands entre le dix-neuvième et le
vingtième siècle a continué à exister dans la période immédiatement suivante,
de sorte que la formation intellectuelle de hitler et d’une partie du groupe
dirigeant nazi s’est faite dans le cadre de cette culture occultiste. j’ai
recueilli des données qui me permettent aussi de dire que ce groupe, arrivé à
la tête du troisième reich, s’interroge sur la manière de mettre en œuvre une
stratégie dérivée de cette culture, à savoir la rescousse de la “sagesse
aryenne”. de même, je suis en mesure d’affirmer que la décision de hitler
d’entrer en guerre, dans la conviction que l’angleterre ne serait pas
intervenue, peut être comprise dans l’optique de la culture ésotérique où
certains cercles au sommet du pouvoir politique anglais puisaient leurs
informations. À mon avis, toute l’histoire du nazisme doit être lue à la
lumière de ce facteur.
dessus, hitler reconstitue le parti national socialiste (interdit après le putsch de 1923), munich 1925; le premier à gauche est alfred rosenberg; le premier à droite est heinrich himmler, chef des ss depuis 1929, inventeur et organisateur des camps d’extermination; dessous, l’occultiste aleister crowley, agent des services secrets britanniques et membre de la golden dawn
de quelle manière hitler entre-t-il en
contact avec les expériences ésotériques? qui a été son mentor?
galli: on peut en trouver la première
trace dans la revue ostara, dont hitler était un lecteur assidu dans les années vingt. cette
publication prend le nom d’une antique déesse germanique du printemps, ce qui
dénote un lien avec la tradition nordique et avec les anciennes divinités
païennes antérieures à la diffusion du christianisme en allemagne. elle a été
fondée en 1905 par un moine défroqué, jörg lanz von liebensfels, qui ouvrit
notamment un siège à werfenstein, le “château de l’ordre” où il a probablement
commencé, avec l’appui financier d’industriels, à patronner une organisation
fondée sur la théorie de la supériorité de la race aryenne. un autre point de
référence pour la formation ésotérique du führer est rudolf von sebottendorf, spécialiste de la
cabale, de textes alchimiques et rose-croix, ainsi que des pratiques
occultistes des derviches, et promoteur, en 1918 à munich, de la thule
gesellschaft, une
association dérivée de la germanorden, une société née au début du siècle qui était
fortement caractérisée par des éléments d’antisémitisme et de racisme. autour
de la thule
gravitaient hitler, rudolf hesse, karl haushofer et hans frank, le futur
gouverneur général de la pologne. c’était une association où dominaient la
culture occultiste et les doctrines secrètes qui avaient mûri au cours des
décennies précédentes. la thule – la mythique atlantide, patrie des hyperboréens – a donc été la
matrice du groupe d’intellectuels qui est à l’origine du nazisme. von
sebottendorf, entre autre, a publié en 1933 un livre intitulé prima che
hitler venisse [avant
qu’hitler ne vienne].
désireux de ranimer le débat autour des origines ésotériques du nazisme, il y
raconte qu’il a été le maître occultiste du führer. mais ce groupe
d’intellectuels, qui se trouvait désormais au pouvoir, avait décidé depuis longtemps
qu’il convenait de cacher les éléments ésotériques et occultistes qui étaient
sa référence, pour mettre au premier plan l’organisation politique. d’ailleurs,
lorsque le livre de von sebottendorf paraît, hitler est déjà chancelier du
reich et le livre est retiré des librairies.
quelles sont les caractéristiques
fondamentales du groupe ésotérique auquel hitler se réfère?
galli: il faut commencer par dire qu’une
des difficultés dans ce domaine, c’est que l’historiographie officielle,
l’historiographie académique, s’occupe peu de cet aspect des choses. le travail
dans le secteur de la culture est parfois abandonné à des historiens
minoritaires ou même à des personnages tout à fait extravagants auxquels
d’ailleurs il arrive souvent de n’élaborer que des recherches marginales. le
fait que la recherche officielle ne s’implique pas dans ce domaine rend
difficile l’accès à des sources sûres. je suis convaincu que si on s’y
intéressait plus, on trouverait quelque chose. mais je reviens à votre
question. j’ai fait allusion à des civilisations et à des patrimoines de savoir
extrêmement anciens – l’atlantide étant la référence la plus importante – en
somme à cette composante culturelle fondée sur l’histoire fiction, sur la
géographie fiction, sur la cosmogonie fiction et sur les lois occultes qui les
guideraient. hitler estime que les fondements de son action politique se
retrouvent dans ce lointain passé, dans une sagesse magique à récupérer et dans
laquelle se trouve l’instrument qui permettra de forger un futur lumineux. le
groupe d’intellectuels de la thule qui décide, dans les années vingt, de transformer la
secte occultiste en parti politique de masse croit fermement à tout cela. il y
a donc deux dynamiques: la profonde conviction des initiés qui opèrent dans ces
groupes et, en même temps, une certaine influence que ces derniers, pour des
raisons amplement approfondies par les historiens, exercent dans certains
passages historiques sur les mouvements politiques. hitler, himmler, hess,
rosenberg, frank, tous se croient les héritiers d’une antique sagesse qui leur
permettra d’être les constructeurs d’une nouvelle civilisation. il faut dire
qu’il existe un historien “traditionnel”, dont l’autorité est unanimement
reconnue, qui a repéré et mis en valeur certains de ces filons ésotériques:
c’est george mosse. dans origini culturali del terzo reich [les origines culturelles du troisième
reich], il indique explicitement l’ésotériste guido von list et sa symbolique
runique comme un des points de référence de hitler. c’est des runes étudiées
par von list que provient le sigle des ss, les milices que himmler utilisera
pour réaliser ses projets élaborés dans le cadre de la culture occultiste.
en haut, adolf hitler avec rudolf hess sur une photo
de 1939; en dessous, quelques militaires anglais enlèvent les restes de l’avion avec lequel rudof hess partit vers la grande bretagne pour chercher un accord peu avant l’invasion de la russie par les allemands
hitler est souvent décrit comme un
homme ignorant, un homme sans qualités. comment réussit-il à s’imposer dans le
groupe ésotérique dont vous parlez?
galli: il existe une tendance répandue qui
le présente comme un ignorant et qui caractérise même le travail de joachim
fest, biographe du führer, qui a été choisi comme conseiller du dernier film sur hitler paru en
allemagne, der untergang (la chute). fest a écrit une excellente biographie de hitler, mais il
tend à le représenter comme un leader de café du commerce et comme un homme qui
lisait très peu en dehors des opuscules de propagande antisémite. ce n’est pas
exact. hitler a lu nietzsche et schopenhauer. dans le groupe formé par
rosenberg, hess, himmler, frank, sa personnalité émerge parce qu’il possède
deux caractéristiques qui n’ont pas
forcément à voir avec la culture ésotérique: c’est un orateur
extraordinairement efficace et un habile organisateur. c’est peut-être des
enseignements du magicien hanussen qu’il a tiré la première, cette forme
presque hypnotique de communication avec ses auditeurs. nous savons de source
sûre qu’il prenait des leçons de diction chez hanussen. mais il y a appris
quelque chose de plus. hanussen était doté de capacités hypnotiques et le livre
de mel gordon reconstruit assez bien cet aspect. dans mein kampf, hitler propose non seulement une
idéologie ésotérique, mais aussi des modèles précis d’organisation qui donnent
l’impression d’avoir été élaborés par un bon politicien. himmler, le
bureaucrate de l’extermination, a des capacités d’organisateur similaires, mais
il est loin d’être un bon communicateur, comme c’est d’ailleurs le cas de hess.
rosenberg n’est qu’un écrivain, certes très efficace... en somme, dans ce
groupe lié à la culture ésotérique, personne n’avait les deux qualités
spécifiques que possédait hitler.
dans mein kampf, hitler indique les objectifs qu’il
s’est fixé: la création d’une eurasie aux frontières orientales indéfinies, un
“condominium” mondial avec l’angleterre.
galli: oui, c’est une stratégie ésotérique
dans laquelle se mêlent l’occultisme et la géopolitique. c’est haushofer qui a
élaboré les théories relatives à l’“espace vital”. il est convaincu, sur la
base de considérations mystiques et spirituelles qui voient dans la nation
allemande le centre du monde, mais aussi à partir d’autres théories de
géopolitique comme celles de l’anglais john mackinder qui avait identifié
l’europe orientale et la russie européenne comme le “cœur de la terre”, que
pour reconstruire la civilisation aryenne, il faut construire une grande région
qui irait de l’europe occidentale à l’oural, un espace vital, le “lebensraum” de la nouvelle civilisation aryenne.
l’allemagne est le fondement de cette vision géopolitique qui prélude à la
création d’une nouvelle civilisation et d’un homme nouveau qui récupérerait les
antiques vertus perdues. À cela s’oppose le rêve des juifs, qui aspirent à
l’hégémonie sur le monde et qui doivent être d’abord marginalisés, puis
éliminés. c’est donc de ce projet de nature ésotérique que naît le drang
nach osten.
mais il y a, à la tête du troisième
reich, des hommes qui ne partagent pas la même culture que hitler et ses
associés...
galli: c’est vrai, mais eux aussi, ils
sont influencés par l’occultisme: göring le pragmatique s’intéressait à la
théorie de la “terre creuse”, goebbels est intrigué par nostradamus... et
quoiqu’il en soit, göring et goebbels partagent le programme de hitler
justement parce qu’ils sont influencés par ses convictions ésotériques.
arrivons au voyage de hess en Écosse,
en mai 1941. ce vol, lui aussi, advient sous le signe de l’ésotérisme...
galli: le projet de condominium avec
l’angleterre sur la base du lebensraum comme prémisse de la construction d’une nouvelle
humanité n’a cessé de se poursuivre, y compris après le début de la guerre,
lorsqu’il fut évident que l’espoir de la neutralité de la grande-bretagne
s’était évanoui. mais le “pont” était toujours sur pied. par ailleurs,
l’épisode de dunkerque, où les chars allemands s’étaient arrêtés en quarante,
permettant ainsi la fuite des troupes anglaises et françaises, peut être
interprété comme une tentative de trouver un accord avec les interlocuteurs
ésotériques présents dans l’île. hess s’envole pour l’Écosse le 10 mai 1941
pour essayer de convaincre ces interlocuteurs de ne pas intervenir, au moment
où l’urss envahit l’allemagne. il veut probablement rencontrer les héritiers de
sociétés comme la golden dawn, qui ont des rapports avec la maison royale et avec lesquels on peut
discuter. quoiqu’il en soit, c’est certainement le duc d’hamilton, une personne
qui a la confiance du roi d’angleterre, que cherche hess. il est pronazi et il
entretient depuis longtemps des rapports avec hess et avec les autorités du
reich. la décision de ce voyage naît probablement après un débat entre les
dirigeants ésotériques nazis, et il est donc plausible que hitler en ait eu
connaissance. cette opération a été couverte par une opération de
désinformation massive. mais hess et les nazis se font des illusions: le “pont”
existe encore, mais il est désormais trop fragile pour y faire passer une sorte
d’accord entre allemagne et angleterre sur le drang nach osten. en mai 41, les aristocrates anglais
eux-mêmes sont “résignés” à faire la guerre à l’allemagne.
hans frank, gouverneur général de la pologne pendant les années du troisième reich; il fit partie
du groupe qui gravitait autour de l’association ésotérique thule gesellschaft, à l’origine du groupe des intellectuels qui donna naissance au nazisme
dans votre livre, vous expliquez que
hitler a cherché jusqu’au dernier moment un accord avec l’angleterre.
galli: oui. après sa défaite en russie, au
lieu d’essayer de bloquer la contre-offensive russe, hitler déplace ses
divisions cuirassées du front oriental au front occidental. sa tactique est
toujours la même: «obliger l’angleterre à la paix par la force», comme,
semble-t-il, il l’a dit lui- même. il croit jusqu’à la fin que ce “pont”
ésotérique peut être reconstruit.
comment est-il possible qu’à partir
d’expériences ésotériques, on réussisse à obtenir un pouvoir aussi grand que
celui de hitler et de ses associés en allemagne?
galli: j’ai toujours essayé d’éviter de
privilégier exclusivement la clé interprétative de l’ésotérisme pour expliquer
certains faits. il s’agit certainement, je l’ai déjà dit, d’un aspect important
et négligé. mais hitler a obtenu ce consensus pour des raisons que l’historiographie
a déjà abondamment étudié et que je ne mets pas en doute: l’humiliation
allemande après la première guerre mondiale, les frustrations dérivant de la
défaite et du traité de versailles, la crise économique de 1929 qui provoque
six millions de chômeurs, la politique de weimar qui ne réussit pas à donner
une réponse à tous ces problèmes, telles sont les principales raisons qui
permettent à hitler de prendre le pouvoir. hitler a réussi à faire face au
chômage avant même le réarmement, grâce à de grands travaux publics, en
acceptant les conseils de hjalmar schacht, financier et homme politique, qui
était un keynésien. d’ailleurs, dans mein kampf, hitler présente un projet politique qui a des
aspects normaux, comme justement la lutte contre le chômage.
august von galen, évêque de münster
pendant la période nazie, est défini par le new york times comme «l’opposant le plus obstiné au
programme national-socialiste anti-chrétien». or il a parlé du nazisme comme
d’une «tromperie religieuse»...
galli: d’une certaine manière, le nazisme
est une tromperie religieuse. d’ailleurs, pie ix avait manifesté sa grande
inquiétude avec la publication de son encyclique mit brennender sorge, et il parlait de néo paganisme. en
réalité, on peut parler de quelque chose de plus que le néo paganisme. toutes
les cérémonies national socialistes reproduisent un modèle religieux: les
lumières, le führer qui apparaît comme une épiphanie
magique... elles ont toutes un caractère de liturgie magique.
il semble que churchill lui-même, le
grand opposant des programmes ésotériques de hitler, n’ait pas dédaigné la
compagnie des occultistes...
galli: dans mon livre la politica e i
maghi [la politique et
les magiciens], j’explique que churchill s’en remettait aux voyants. churchill
était un conservateur absolu et un anti-communiste absolu. n’oublions pas qu’il
a collaboré avec le popolo d’italia de mussolini. dans sa vision du monde, seuls les
peuples de langue anglaise sont à la hauteur de la démocratie. pour les autres
peuples, toute autre forme de régime peut aller. pour lui, l’histoire de
l’occident coïncide avec l’histoire des peuples anglophones. hitler aurait donc
pu aussi lui plaire, comme il plaisait à certains secteurs conservateurs de la
société anglaise. mais d’après moi, il avait des relations avec les sociétés
ésotériques anglaises qui lui avaient fourni un certain nombre d’informations
sur la “contre initiation” de hitler.
karl haushofer, fondateur de l’institut de géopolitique de berlin et principal inventeur de la théorie nazie
du lebensraum, l’“espace vital”
c’est-à-dire?
galli: dans la culture ésotérique, il
existe une différence fondamentale entre “initiation” et “contre initiation”.
l’initiation – c’est-à-dire l’initiation maçonnique – serait positive. mais la
contre initiation aurait quelque chose de diabolique. churchill avait su que
hitler était un “contre initié”. Étant donc au courant du cadre “ésotérico-diabolique”
de la “contre initiation”, il craignait que derrière les objectifs négociables,
– laisser les mains libres à l’allemagne à l’est en échange de la garantie de
la continuité de l’empire britannique –, qui étaient probablement acceptables
pour lui, il y ait des fins non négociables: l’empire du mal. hitler ne voulait
pas seulement un empire de type géopolitique. il voulait l’empire sur les
consciences, fondé sur une série de valeurs que même le conservateur
anti-communiste qu’était churchill voyait comme négatives et non négociables.
le fait est que la prophétie hitlérienne sur la fin de l’empire britannique
s’est en substance réalisée. hitler avait prophétisé que churchill aurait
détruit l’empire britannique et qu’il aurait livré le sceptre impérial aux
États-unis.
une dernière question. rené girard a
récemment dit dans une interview que «le mépris nazi pour la tendresse
chrétienne envers les victimes n’est pas sorti de l’histoire». le professeur
français a aussi affirmé qu’il «craignait qu’à l’avenir, certains essaieront de
reformuler ce même principe de manière plus politically correct et pourquoi pas, en le revêtant de
christianisme». qu’en dites-vous?
galli: girard est un grand historien,
extrêmement documenté et riche d’intuitions. je crois qu’il est possible de
penser à un nazisme comme “revêtu de christianisme”, ne serait-ce que parce que
le nazisme, avec ses caractéristiques spécifiques, ne peut se répéter. et je ne
crois pas que des mouvements autoritaires comme ceux des années vingt ou trente
puissent provoquer une crise de la démocratie représentative; mais il existe le
risque que, dans les démocraties occidentales, ne se maintiennent que les
formes de la démocratie et non pas sa substance. les partis ne seront plus mis
hors-la-loi, les libertés civiles seront maintenues dans une certaine mesure
mais en même temps, le risque que seules subsistent les formules, et non la
substance de la démocratie pourrait exister. il pourrait y avoir une non
démocratie maquillée en démocratie. c’est pourquoi l’intuition de girard est
plausible. de même qu’il est possible qu’une anti-démocratie se présente avec
des modalités apparemment démocratiques, de même il est possible qu’un
anti-christianisme qui méprise les victimes comme l’a fait le nazisme puisse agir
en se revêtant de formes chrétiennes. je ne voudrais pas trop m’engager sur un
terrain que je ne connais pas, mais je sais que des publications existent, – et
qu’elles sont de plus en plus répandues – qui expriment des tendances qu’on
pourrait appeler, je pense, “intégrisme apocalyptique”. ces tendances
pourraient en quelque sorte préfigurer un risque semblable à celui dont parle
girard. certaines caractéristiques isolées qui ont concouru à la montée du
nazisme pourraient réapparaître dans ce contexte.
home page
sommaire
archives
suppléments
abonnements
colophon
contacts
© 30jours dans l’Église et dans le monde. tous les droits sont réservés
30jours - la grande allemagne, un rêve ésotérique Précédent 567 Précédent 566 Précédent 565 Précédent 564 Précédent 563 Précédent 562 Précédent 561 Précédent 560 Précédent 559 Précédent 558 Précédent 557 Précédent 556 Précédent 555 Précédent 554 Précédent 553 Précédent 552 Précédent 551 Précédent 550 Précédent 549 Précédent 548 Précédent 547 Précédent 546 Précédent 545 Précédent 544 Précédent 543 Précédent 542 Précédent 541 Précédent 540 Précédent 539 Précédent 538 Suivant 569 Suivant 570 Suivant 571 Suivant 572 Suivant 573 Suivant 574 Suivant 575 Suivant 576 Suivant 577 Suivant 578 Suivant 579 Suivant 580 Suivant 581 Suivant 582 Suivant 583 Suivant 584 Suivant 585 Suivant 586 Suivant 587 Suivant 588 Suivant 589 Suivant 590 Suivant 591 Suivant 592 Suivant 593 Suivant 594 Suivant 595 Suivant 596 Suivant 597 Suivant 598