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nous rencontrons tous beaucoup de personnes au cours de notre vie. pour paraphraser jung [1], la plupart de ces personnes ne sont que des fantômes qui vont traverser notre vie sans aucun impact particulier ni sans aucun relief notable, sans véritablement laisser de traces. tout au plus ces personnes seront-elles des connaissances, des relations. même les grands amis d’un moment peuvent s’avérer tout à fait dispensables dès lors que la vie fait qu’on ne les voit plus.
pourtant, au fur et à mesure du temps, la plupart d’entre nous envisagera son passé par rapport à des personnes exceptionnelles, croisées, rencontrées ou même fréquentées. cela ne dépend pas du temps passé avec elles, mais beaucoup plus de l’impact qu’elles auront pu avoir sur notre psyché.
ces personnes sont des personnes que nous nommerons « individuées » [2] la personne individuée a cela d’exceptionnelle qu’elle est vraie, et donc qu’elle ne ressemble à aucun autre « modèle » de personnes.
le modèle de personnes
quoique ce concept soit très politiquement incorrect, quoique certains lecteurs puissent se reconnaître comme étant en dehors de ce concept tout en étant dans l’erreur, nous allons oser introduire le concept de « modèle de personnes ».
le plus amusant dans l’affaire est que ce concept est très intuitif. en effet, qui donc peut se targuer de n’avoir pas groupé intuitivement les personnes dans des ensembles homogènes ? quel phénomène peut paraître comme étant plus universel ? malheureusement ou heureusement, nos rencontres se classent souvent fort aisément dans un nombre de modèles de personnalités très limité, cela quelque soit notre origine sociale, notre religion, notre couleur de peau, notre culture ou nos convictions intimes.
néanmoins, si le phénomène est partagé entre les humains de tous bords, il convient de dire, logiquement, que ce dernier peut être dû à trois classes de causes :
— nous classons nos rencontres dans des boîtes car elles rentrent objectivement dans des boîtes ;
— nous rencontrons toujours le même type de personnes parce que c’est ce type que nous cherchons inconsciemment, ce qui nous fait penser que les gens rentrent dans des boîtes [3].
— nous classons nos rencontres dans un nombre fini de boîtes mais nous nous trompons dans cette classification en commettant des erreurs de classement, et en particulier en classant, dans une boîte « ésotérique », les personnalités inclassables du portefeuille de nos rencontres.
certes, la plupart d’entre nous, en tous bons intellectuels, ne se poserons jamais la question et appliquerons sans broncher la première méthode. or, si par hasard notre route a croisé un « contre-exemple » de la première méthode, nous serons alors tentés d’introduire une nouvelle catégorie dans notre classement, catégorie que nous nommerons : « personnalité ésotérique ».
les personnalités communes
avant d’aborder le sujet délicat de la personnalité ésotérique, nous aborderons celui des « personnalités communes », celles qui, justement, peuvent être classées facilement dans des ensembles homogènes.
force est de reconnaître - et je sais que ce constat est difficile à digérer pour les personnes bien pensantes - que la plupart de nos rencontres sont dispensables, car elles ne sont que l’exposition de personnalités communes (jung aurait dit « archétypales »). en effet, si l’on veut voir la vérité en face et se dégager de la gangue bien pensante actuelle, on réalise que les personnalités qui nous entourent sont construites sur le même moule : elles ont les mêmes interrogations, les mêmes désirs, les mêmes fantasmes, les mêmes loisirs, les mêmes types d’opinions, les mêmes logiques, les mêmes valeurs, elles lisent les mêmes choses, regardent les mêmes choses, écoutent les mêmes choses, sont intoxiquées par les mêmes médias, elles s’habillent de la même façon, elles arborent les mêmes mimiques fausses de visage, se jouent les mêmes faux personnages, s’angoissent et se plaignent des mêmes problèmes, se positionnant dans le jeu courant des oppositions simplistes, etc.
dès lors, nous pourrons rencontrer une personne pour ou contre monsieur x, pour ou contre la maladie z, pour ou contre l’avortement, pour ou contre le dernier livre de michel houellebecq, aimant telle ou telle chose, détestant telle ou telle chose, etc. toutes ces déclinaisons ne nous permettent pas de pouvoir affirmer que ces personnes sont différentes, intrinsèquement ; qu’elles ont une singularité ; qu’elles sont « ésotériques ».
on pourra se référer à l’article le côté insidieux des sites de rencontre en ligne pour avoir un exemple de décalage entre caractéristiques extérieures de la personnalité et nature intime de la personnalité.
la question qui se pose alors est relative à nous-mêmes : pouvons-nous continuer à croire à la doctrine officielle du « tous égaux », du « nous avons tous du caractère » alors que les faits nous prouvent le contraire ? par exemple, tous les français semblent défendre un idéal de liberté partagée, dont l’etat français est le garant. remettre en question cette valeur est très politiquement incorrect. chose amusante, les américains ont aussi des comportements et des avis sociaux totalement normalisés, en particulier à propos de la liberté, mais leur vision est différente. pourtant, il est tout autant politiquement incorrect de remettre en cause la liberté vision américaine aux etats-unis que la liberté vision française en france. tout cela pour dire que ces opinions majoritaires sont tout, sauf un indicateur de la personnalité.
partout, les gens se ressemblent, et ressemblent aux choses dont ils se nourrissent. et pire que tout cela, beaucoup s’entêtent, s’escriment à ressembler à la masse en prétendant que c’est là le chemin obligatoire du bonheur.
de fait, cette adhésion aux valeurs de la masse est rassurante [4] et permet de pouvoir juger les autres sur des critères partagés, ce qui est inestimable pour toute existence sociale. sans possibilité de juger, nous devenons asociaux, car nous n’avons finalement que faire de ce que font les autres.
cette normalité revendiquée n’est pourtant pas gratuite du point de vue de la personnalité. elle a même un coût évident au niveau de l’accomplissement de la personne. car les préjugés, s’ils nous protègent et nous permettent de nous positionner socialement, voire de prendre un certain pouvoir sur les autres au moyen de notre jugement, ont un revers souvent désagréable, fait de l’impossibilité d’estimer une situation ou personne pour ce qu’elle est et non pas ce à quoi elle ressemble, et par conséquent, l’impossibilité de s’estimer correctement soi [5].
dans toutes les sociétés, l’investissement sur soi, la recherche de soi a toujours été socialement incorrecte. pour faire en sorte que les gens ne se posent aucune question, il est nécessaire de les convaincre qu’ils savent qui ils sont, notamment parce qu’ils peuvent se décrire psychologiquement, donc mettre une représentation intellectuelle sur leur être profond. tout ce qu’une personnalité ésotérique ne sait pas faire ou ne peut pas faire.
l’époque du choix
jung nous dit que chacun d’entre nous est, un jour, face à un choix crucial : ou il devient lui-même, ce qui lui laisse présager de nombreux tourments et de nombreuses difficultés sur son chemin personnel et forcément un peu solitaire ; ou il décide consciemment de rentrer dans le rang, et de jouer avec les valeurs de la société dans laquelle il vit.
nombre d’entre nous, pour aboutir au confort social, choisiront, simplement, la seconde solution. ceux d’entre nous qui choisiront la première l’agrémenteront probablement de nombreux bémols leur permettant d’évoluer dans des cercles plus restreints où les apparences changent, mais les valeurs fondamentales ne changent pas.
enfin, une partie de ceux qui ont fait le choix d’aller vers eux-mêmes poursuivront leur chemin de damas, quelques soient les conditions extérieures. on notera que, dans ce cas, même la notion de “choix” est une représentation intellectuelle et que la question peut être sous-entendue ou résolue de manière inconsciente.
il n’est nullement question de vouloir juger l’un quelconque de ces comportements. cependant, il serait intéressant de comparer, en termes de statistiques, les choix des uns et des autres, choix qui :
— nous induisent à placer « licitement » les autres dans des catégories, étant donné leur homogénéité de raisonnements ;
— nous ramènent à notre choix personnel et notre auto classification dans un modèle de personnalités [6].
si l’on peut garder quelque chose de la philosophie subjective, on dira que, même si nous sommes à l’identique des autres, il est fort probable que nous nous voyions nous-mêmes comme fondamentalement différents des autres. cela est la conséquence de notre subjectivité qui va nous postuler comme étant à la fois :
— une personne à part ;
— une personne partageant les valeurs et les comportements de la majorité des autres.
c’est, pour la plupart, le bon équilibre pour vivre en société de manière correcte : être convaincu que l’on est une personnalité à part, et agir ou penser comme la plupart. cela répond à la préoccupation essentielle des êtres humains en société :
la reconnaissance du troupeau.
c’est fondamentalement la raison qui fait que les gens s’assemblent par groupes d’« intérêts communs » plutôt que par compatibilité de personnalités, voire même que les compatibilités de personnalités s’établissent sur les intérêts communs, ce qui est beaucoup plus grave. dans le jeu des personae de jung [7], chacun s’identifie à son masque et le groupe se fonde sur l’identité ou la compatibilité des masques, en refoulant les impressions sensibles des personnalités entre elles.
la personnalité ésotérique
si vous êtes parvenus à ce stade de l’article, c’est que vous êtes dans l’une des deux situations que voilà :
— soit vous avez créé cette catégorie de personnalité ésotérique dans l’ensemble de vos fréquentations (il se peut d’ailleurs que le groupe des personnalités de ce genre soit peu fourni),
— soit vous vous sentez vous-mêmes comme étant une personnalité ésotérique, auquel cas vous avez neuf chances sur dix de vous tromper.
la personnalité ésotérique a, de fait, certaines qualités :
— elle a une personnalité propre ;
— elle est libre ;
— elle fait ce qu’elle veut, quelles qu’en soient les conséquences (assumées),
— elle ne peut se décrire car elle ne ressemble à rien d’autre qu’à elle-même.
ce genre de personnalité, du temps de jung comme du temps des romains ou comme actuellement, est très rare. une des difficultés à théoriser les personnalités ésotériques est justement que leur juste valeur se ressent plutôt qu’elle ne se représente ou ne s’argumente. ainsi, ces personnes ne peuvent être que rencontrées. dès lors que l’on veut approcher une de ces personnes par l’intermédiaire d’une représentation, par exemple, au travers des mots, le pari est perdu.
une personnalité ésotérique n’est donc qu’une personnalité que l’on doit expérimenter.
personnalité ésotérique et personnalité commune
les personnalités ésotériques sont souvent considérées, par les personnalités communes, comme des « personnalités pathologiques ». cette confusion est très intéressante car elle montre que la normalité psychologique est une dictature des représentations. peut importe qu’une personne soit individuée ou non, il faut que les apparences laissent croire qu’elle est “normale”, ou elle pourra être classée dans les syndromes de névrose et de psychose.
bien sûr, les personnalités pathologiques existent mais ne recouvrent pas les personnalités ésotériques. jung s’était intéressé à ce problème depuis sa thèse de doctorat [8]. dans ses écrits, ce dernier a toujours défendu que les personnalités individuées, si elles pouvaient apparaître comme totalement imprévisibles, n’étaient pas pour autant des personnalités pathologiques.
la réalité du problème des sociétés a donc toujours été de prendre les personnalités ésotériques pour des erreurs, alors qu’au contraire, ce sont les personnalités communes qui sont des erreurs. en raison d’une inversion stupéfiante des valeurs, les sociétés ont toujours valorisé les âmes dociles. sans entrer dans une théorie du complot, nous remarquerons que mécaniquement, si l’ensemble des gens existent d’une certaine façon, alors les personnalités ésotériques sont vus comme dangereuses. cependant, afin de garantir que le système crée des personnalités communes et donc que l’écrasante majorité des personnes pensent de la même façon (même si elles sont persuadées de penser différemment ou de manière autonome), il est nécessaire de disposer de ce que jung nommait des personnalités mana pour assurer un cadre théorique au besoin de conformité.
conclusion
le potentiel d’être soi est toujours là, en chacun d’entre nous ; même si le voyage est sans retour, et qu’il requiert du temps.
la classification dans des patterns psychologiques, est donc souvent licite et, si elle est interprétée comme une lucidité personnelle, elle doit être tempérée par le fait que nous appartenons aussi à des classifications visibles des autres.
seuls quelques individus uniques, forts d’une singularité incroyable, émergent du lot. nous pourrions tous apprendre d’eux, si nous ne les cantonnions dans des boîtes, si au lieu de vouloir imiter ce qu’ils sont, nous imitions leur démarche dans l’accomplissement d’eux-mêmes.
[1] ma vie, folio, gallimard.
[2] voir l’individuation.
[3] c’est probablement une projection de la boîte dans laquelle nous nous trouvons.
[4] cf. l’article sur la logique de groupe.
[5] on pourrait faire un lien avec certaines doctrines philosophiques de type phénoménologie qui valident comme seule approche licite (ce qui est un postulat) l’approche par le visible et postulent que l’approche de l’être réel des choses nous est inaccessible.
[6] vous pourrez trouver sur ce site de nombreux articles faisant référence aux types psychologiques de jung, par exemple sur les problèmes de couples.
[7] voir pouvoir et persona.
[8] la psychopathologie des phénomènes dits occultes.
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